GENESE DE LA DAM

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Mise à jour : juin 83         Jean-Pierre FERRAND



Note de présentation :

En 1982, Jean-Pierre Ferrand, officier de Marine détaché au CEA (DAM), alors ingénieur au centre du Ripault, fut chargé par le Directeur des Applications Militaires de rédiger un mémoire sur la naissance et le développement de la DAM depuis les origines jusqu'à l'aboutissement capital de la première expérience nucléaire française au Sahara.

L'auteur prit soin de consulter de nombreux témoins et acteurs de cette période, et tint largement compte des précisions ainsi glanées.

Sous une forme condensée et facile à lire (18 pages dactylographiées sans les annexes), la GENESE DE LA DAM constitue un document historique essentiel et fondamental.

Seule modification substantielle de présentation, les notes de bas de page ont été réinsérées dans le cours du texte, entre parenthèses et en italique.

Pierre Billaud. 1999.



GENESE DE LA DAM

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En ce temps là, il y a plus de trente ans, M. Antoine PINAY étant Président du Conseil, un jeune Secrétaire d'Etat, M. FELIX-GAILLARD (1919 - 1970) en était à son troisième ministère consécutif: les ministères se succédaient, le Secrétaire d'Etat à la Présidence du Conseil demeurait. Il assurait ainsi la continuité, avec des attributions importantes qui avaient été précisées le 14 Août 1951 : "Il a sous son autorité le Haut Commissariat à l'Energie Atomique et le Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage" (Note 1 : Décret du 14 Août 1951. Article 3. J.O p 8859). A la même époque, après la mort de M. DAUTRY (Août 1951), M. GUILLAUMAT avait été nommé Administrateur Général du CEA, M. Francis PERRIN étant Haut Commissaire depuis un an déjà.

Comme il s'y était engagé lors de la discussion budgétaire fin 1951, M. FELIX-GAILLARD déposa (20 Juin 1952) un "projet de loi de programme pour la réalisation du plan de développement de l'énergie atomique (1952 - 1957)". Ce projet portait sur près de 40 Milliards de Francs, le double des sommes dépensées depuis l'origine du Commissariat (moins de 20 Milliards pour 1946 - 1952). Il comportait notamment la construction de deux nouvelles "piles" de 50 000 et 100 000 kW (comme on disait alors, le mégawatt n'étant pas encore entré dans le vocabulaire courant) en vue de "donner à la France une quantité suffisante de cette matière première de l'énergie nucléaire qu'est le plutonium".

Le débat à l'Assemblée Nationale figurait à l'ordre du jour de la première séance du 3 Juillet 1952 (Note 2 : J.O. A.N. p. 3453 sq). Comme le fit observer le rapporteur (Ch. BARANGE), il s'agissait "pour la première fois d'une loi de programme en vue d'assurer la continuité de nos efforts dans le domaine de l'énergie atomique", le CEA allait travailler "à l'échelle industrielle et non plus à l'échelle limitée du laboratoire", en vue "d'obtenir les quantités de plutonium nécessaires pour la construction du premier générateur à combustible enrichi".

Le débat, qui dura plus de deux heures, fut politique et non technique. Personne ne s'y trompait. Dès le 14 Février, le journal "L'OBSERVATEUR" analysant le projet dans un article anonyme, mais bien informé, n'avait-il pas subodoré "des arrières pensées de défense nationale", estimant que cet "événement d'importance considérable ... ne doit pas être escamoté" et que l'on pourrait peut-être prévoir "pour ces milliards, des activités moins spectaculaires, mais aussi moins dangereuses" ?

L'orateur communiste, M. TOURTAUD, fit remarquer "combien terrible serait la responsabilité que porteraient devant l'histoire des scientifiques français qui participeraient à la fabrication de plutonium dont rien n'assure qu'il ne serait pas consacré à la fabrication de bombes". Il demanda donc l'adjonction de l'amendement suivant : "les matériaux dont la prospection ou la production est prévue dans le plan défini ci-après, ne pourront en aucun cas servir à la fabrication d'armes de destruction massive, soit en France soit à l'étranger".

Il est symptomatique que, pour expliquer pourquoi il votait contre cet amendement, le parti socialiste ait choisi pour porte-parole M. Jules MOCH, naguère Ministre de la Défense Nationale. Quant au Secrétaire d'Etat, il dut préciser que "toute la partie du plan, la plus importante, qui va intéresser le Plutonium, fera l'objet d'une section spéciale du Commissariat, laquelle sera soumise, dans la protection de ses travaux, dans le recrutement de ceux qui sont appelés à y travailler, à toutes les précautions de sécurité qui sont de règle, non seulement dans les établissements de la Défense Nationale française, mais aussi dans tous les pays participant au Pacte de l'Atlantique".

L'amendement repoussé par 518 voix contre 100, le plan FELIX-GAILLARD était adopté, les piles plutonigènes financées, la production de plutonium assurée, son emploi militaire ultérieur prévisible. Les ambassadeurs étrangers ne pouvaient s'y tromper.

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Les Armées ne s'y trompèrent pas non plus, et le 6 Septembre 1952, le Général BERGERON, président du "Comité d'Action Scientifique de Défense Nationale" fut chargé par son ministre (M. PLEVEN) d'une étude relative aux recherches à effectuer, aux besoins en personnels et matériels à satisfaire, à l'effort financier à consentir pour mettre en place un armement nucléaire. Il en publia les résultats le 13 Mai 1953 (Note 3 : Le Président du Conseil avait changé (R. MAYER), mais le Ministre de la Défense était resté le même). On peut en retenir deux points : mise à part une déclaration unilatérale devant l'ONU (1946), il n'existait aucun engagement contractuel de la France pour s'abstenir d'un armement (qu'elle peut "étudier quand elle le voudra et logiquement dès qu'elle le pourra") ; nous avions la quasi certitude de disposer fin 1957 de la quantité de plutonium nécessaire pour fabriquer un prototype de bombe. Et le général BERGERON concluait "le problème parait enfin à la portée de nos moyens".

Quelle organisation fallait-il mettre en place ? La question était à peine effleurée dans le rapport du 13 Mai, le Général BERGERON se montrant simplement peu partisan d'une "Section Atomique Interarmées" car, disait-il, les différentes directions techniques ont déjà mis en place des équipes d'atomiciens, notamment le Service Technique des Construction et Armes Navales (STCAN - IG. BRARD : étude d'un réacteur à uranium naturel pour un sous-marin) ou la Direction des Etudes et Fabrications d'Armement (DEFA - IG. HERVET, qui avait créé le 3 Septembre 1951 une Section atomique avec l'Ingénieur en Chef CHANSON). De son côté, la Direction des Poudres, sous l'impulsion de l'ingénieur Général FLEURY, avait orienté de nombreux ingénieurs vers la Recherche, dans des domaines variés allant de la physique nucléaire à l'implosion - en passant par la métallurgie du plutonium ou la séparation isotopique. Un groupe de travail "chargé de l'étude des applications militaires de l'énergie nucléaire" avait été officiellement constitué le 16 Avril 1951, au sein de la Direction des Poudres, sous la Présidence de l'Ingénieur Général FAUVEAU.

A trente ans d'intervalle, on pourrait s'étonner que, mise à part la production de "matière fiscible" (sic : le vocabulaire scientifique n'était pas encore stabilisé), l'action du CEA ne soit pas évoquée dans ce rapport. C'est dans une note complémentaire, datée du 19 Mai 1953, que le Général BERGERON examinait les rapports entre Défense Nationale et CEA "pour la réalisation d'un programme militaire inéluctable à bref délai" ; considérant qu'une "bonne partie du CEA est hostile à toute application militaire", il proposait que "les applications militaires de l'énergie atomique (soient) poursuivies par la Défense Nationale avec ses crédits, sous sa responsabilité... une fois la matière produite par le CEA" ; enfin, il trouvait "inadmissible que le CEA puisse venir débaucher des militaires ou ingénieurs militaires plusieurs années après leur sortie de l'école".

La polémique était ouverte : à qui serait confiée la responsabilité d'étudier et de fabriquer la "bombe atomique" ? au Ministre de la Défense Nationale ou au Ministre de tutelle du CEA ? La discussion allait durer deux ans, le dossier rebondir sur le bureau de quatre Présidents du Conseil successifs, MM. R.MAYER, J.LANIEL, P.MENDES-FRANCE et E. FAURE.

Il ne semble pas que l'opinion publique se soit mobilisée pour ou contre l'armement nucléaire. On peut cependant évoquer quelques articles dans le journal "LE MONDE" où des scientifiques (Leprince Ringuet), voire des ingénieurs militaires/politiques (J.Moch) s'efforcent de démontrer soit que cela ne présente aucun intérêt pour la France, soit que le CEA doit se limiter aux applications pacifiques. On ne peut cependant résister à citer cette perle (22 Avril 1955) : "On ne peut espérer accroître le prestige de la France en annonçant que nous allons fabriquer des armes atomiques, alors que les gouvernements étrangers savent parfaitement que nous ne le pouvons pas".

Dans la presse spécialisée, telle que la Revue de la Défense Nationale, les préoccupations étaient évidemment différentes. Au printemps 1954, une série d'articles évoquent le bon marché des armes, la "relative facilité de faire vite" opposée aux "méthodes dilatoires employées par le CEA". On souligne volontiers que les études difficiles en cours pour les piles (EL3) sont inutiles pour l'armement nucléaire, tandis que les études indispensables pour l'armement nucléaire sont sans intérêt civil. "Avec un budget de recherches nécessairement limité, un organisme civil, avec toutes les pressions idéologiques qu'il subit, inclinera nécessairement ses études vers les applications pacifiques et essaiera toujours de se justifier en disant qu'il s'agit d'un programme scientifique d'intérêt commun" (Avril 1955). Conclusion : "seul un organisme militaire compétent peut trancher le débat technique".

On voit poindre le bout de l'oreille, quand on sait que l'auteur de cette dernière phrase est le Chef de la Section Atomique de la DEFA - car on peut se demander quel serait "l'organisme militaire compétent". Se souvenant des rivalités Poudres/DEFA, fin 1951, pour savoir de qui ressortiraient les éventuels "projectiles atomiques", le Général BERGERON avait prudemment, dans son rapport, éludé le problème. Sous l'inspiration vraisemblablement du Général AILLERET, une idée faisait son chemin : "intégrer une équipe interarmée militaire dans le cadre du CEA" ; la Défense Nationale allait confier au CEA l'étude et la réalisation de l'Armement nucléaire.

La décision était d'ordre politique : pour que l'affaire reste en permanence pilotée par le gouvernement, et notamment par le Président du Conseil, il fallait que les utilisateurs (Défense Nationale) et les constructeurs (CEA) dépendent de deux ministres distincts, de deux administrations distinctes. De plus, comme on l'écrira bientôt, "l'affectation du Plutonium - comme de l'Uranium 235 - ne peut relever que du Président du Conseil, éclairé par ses principaux ministres".

Le 23 Février 1955 un nouveau gouvernement est constitué - Conscient de cette nécessité politique, le Président du Conseil (E. FAURE) fait préparer un protocole d'accord - Le 1er Mars le ministre de la Défense Nationale (Gl. KOENIG) et le Secrétaire d'Etat chargé du CEA (G. PALEWSKI) tombent d'accord. Le Protocole sera signé le 20 Mai 1955 : le CEA est reconnu "Maître d'œuvre en matière d'armement atomique".

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Entre temps, les gouvernements successifs avaient maintenu leur ligne de conduite relative à l'armement nucléaire "inéluctable". C'est ainsi que l'une des clauses du Traité de la Communauté Européenne de Défense (C.E.D.) restreignait à 500 g la quantité de Plutonium que pouvait produire annuellement chaque contractant ; au delà, l'accord de l'organisme directeur de la future communauté serait requis. Cette restriction "conçue pour limiter les futures activités nucléaires allemandes, nous aurait été appliquée en vertu du principe de non discrimination" (Note 4 : Information fournie par M. GOLDSCHMIDT - dans un article diffusé le 10 Septembre 1975). A l'initiative de l'Administrateur Général du CEA, le gouvernement français (J.LANIEL) demanda une modification des clauses atomiques du traité. Celle-ci fut rejetée par nos partenaires (avec bien d'autres demandes d'amendements) en Août 1954 ; ainsi cette clause léonine fut l'une des causes du refus français de ratifier le traité, ce qui entraîna l'échec du projet de CED.

Simultanément le Ministre de la Défense Nationale et des Forces Armées avait, en Mai 1954, demandé à ses trois secrétaires d'état, à l'occasion de la préparation du budget 1955, de lui faire des propositions quant aux "recherches atomiques de Défense Nationale", la synthèse étant assurée par le Comité des Explosifs Nucléaires, présidé par le Général CREPIN, et dont les deux co- rapporteurs étaient le Commandant Pierre BILLAUD (Armes Spéciales) et le Commandant COLEAU, à qui succéda le Capitaine de LACOSTE-LAREYMONDIE.

Le 26 Décembre 1954, le Président du Conseil, M. MENDES-FRANCE, réunissait un conseil Interministériel et, sur proposition du Ministre de la Défense Nationale (Gl. KOENIG), décidait de lancer un programme d'études relatif au sous-marin à propulsion nucléaire d'une part, à un futur armement nucléaire d'autre part. Le 29 Décembre M. GUILLAUMAT créait, au sein du CEA (Note 5 : NS 6971) un Bureau sur lequel a plané un certain mystère, le Bureau d'Etudes Générales (B.E.G.) animé par le Colonel BUCHALET. C'est lui qui, le 1er Mars 1955, est "chargé d'étudier et de développer un programme bombe" (Accord KOENIG- PALEWSKI).

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Le Protocole de Mai 1955, en consacrant l'unité de préparation et d'exécution au sein de la Présidence du Conseil, et en affirmant la maîtrise d'œuvre du CEA en matière d'armement nucléaire, va permettre au BEG de prendre son essor et devenir (ultérieurement) le Département des Techniques Nouvelles (D.T.N.). Dès le 3 Juin, la Convention qui était en préparation entre CEA et Service des Poudres est signée (Note 6 : pour cinq ans et tacitement renouvelable) : "Dans le cadre des accords intervenus entre la Défense Nationale et le CEA, le Laboratoire Central des Poudres installe et développe au Fort de VAUJOURS un Centre d'Etudes dit Centre d'Etudes de VAUJOURS (C.E.V.) pour y effectuer toutes études sur les poudres et explosifs utiles à la réalisation d'armes nucléaires". Ce Centre sera rattaché au "DTN provisoirement dénommé BEG" (sic) avec trois sections (Explosifs, Physique et Appareillage, Théorie) dont les chefs - comme le Chef du Centre - seront "désignés d'un commun accord par le CEA et le Service des Poudres". Il s'agit de l'Ingénieur en Chef BARGUILLET et des Ingénieurs Principaux CACHIN, VIARD et BERGER, ingénieurs militaires en service au laboratoire des Poudres de SEVRAN. Le premier est le co-auteur d'un brevet d'invention (Note 7 : MEDARD - SARTORIUS - CACHIN) relatif à la génération des ondes de détonation sphériques centripètes, brevet déposé dès 1951 après des essais effectués tant au Laboratoire de SEVRAN qu'au Fort de VAUJOURS et au camp de MOURMELON, Quant aux rapports de M. BERGER sur la concentration de sphères creuses sous l'influence d'une pression extérieure, on notera qu'ils sont transmis sous bordereaux de la "Poudrerie Nationale de Sevran-Livry".

On retrouvera ces trois ingénieurs comme Chefs de Service dans l'organigramme de 1959, M. BARGUILLET étant officiellement Directeur du CEV à la date du 1er Septembre 1958. Pendant les trois premières années de la vie du CEV, le "Conseil de Direction du CEV" comprendra trois membres du Service des Poudres et trois membres du CEA ; il lui sera rendu compte de l'avancement des travaux et études; les programmes et prévisions budgétaires seront soumis à son accord.

VAUJOURS fut la seule réalisation concrète du grand projet, de "Centres Mixtes CEA/Défense Nationale", projet ayant les objectifs suivants : profiter du potentiel de la Défense Nationale, investir au maximum sur terrain militaire, bénéficier du secret D.N., assurer une étroite collaboration CEA/DN. Les tentatives de "récupération" du Fort d'AUBERVILLIERS ou du Camp de SATORY aboutirent à un échec (Juin 1955). Le CEA décida alors d'investir sur un terrain acquis en Juillet 1955, sous la couverture de "RADIOMANA". Le domaine du RUE allait devenir une annexe du Centre du BOUCHET (BOUCHET III, rapidement contracté en B III).

Les appels d'offre sont lancés en Novembre, les travaux débutent en Décembre, la première équipe arrive le 2 Juillet 1956 pour y installer un accélérateur VAN DE GRAAF de 2 Mev. Elle vient du Fort de CHATILLON (Note 8 : le Fort de CHATILLON est à l'origine du Centre de FONTENAY-AUX-ROSES. L'accès se situait "Rue de la REDOUTE") où avait été créé le 1er Septembre 1955 le Service de Physique Nucléaire Expérimentale : mis hors cadre et détaché au CEA (1er Juin 1955), Monsieur Pierre BILLAUD avait constitué son équipe en vue de concevoir un engin expérimental ; il avait été rejoint par le Capitaine de LACOSTE-LAREYMONDIE, par deux stagiaires militaires (MM. OUVRY et FRAISSE), puis par Mademoiselle Thérèse CAMION qui venait de VAUJOURS. A l'aide de moyens rudimentaires, ils surent déterminer masses critiques, probabilités d'amorçage etc. données indispensables pour la conception de l'engin, résultats qui furent confirmés plus tard par des expériences ou des calculs machine.

Les "bureaux" - si l'on peut dire ! - étaient installés dans le "Château" - et l'épouse d'un gardien préparait, au sous-sol, les repas de midi. Quand arrivera fin 1956, le Section Physique Mathématique (M. SALMON), dotée d'une "machine à calculer puissante" (BULL), M. LAURENT sera déjà directeur du Centre de B III (Septembre 1956), avec pour adjoint M. TIROLE ; il restera par surcroît Chef du Service Métallurgie - Chimie du DTN, en attendant la création du Service Métallurgie (M. FERRY, Janvier 1957), service dispersé à Châtillon, Saclay, etc... avant son implantation à B III - cependant que le Service Chimie (M. FRELING) ne quittera CHATILLON qu'en Juillet 1957 pour rejoindre les labos chauds enterrés de B III. On notera avec intérêt que l'on "envisage de ne pas travailler 45 heures par semaine en labo chaud" (16 Avril 1957).

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Trois ans après le rapport du Général Bergeron, les relations Armées-CEA ont évolué favorablement, sous l'influence notamment d'hommes comme le Général AILLERET (Commandant des Armes Spéciales), le Général LAVAUD ou l'Ingénieur en Chef du Génie Maritime GUNTZBERGER (Cabinet "Armement" du Ministre de la Défense Nationale), et aussi M. GUILLAUMAT (Administrateur Général du CEA) ou le Colonel BUCHALET (Chef du BEG puis du DTN). En particulier le "Centre Militaire de Perfectionnement Atomique des Armes Spéciales" à LYON (Note 9 : officiellement créé par Décret du 27 Avril 1956 - 15 officiers obtiendront leur diplôme à l'issue de l'année scolaire 1956/1957 - 42 officiers sont désignés en 1957 pour en suivre les cours. Un embryon d'école avait existé à LA VITRIOLERIE (banlieue de LYON) depuis 1950) - permet la formation de jeunes spécialistes qui viennent renforcer les équipes du BEG - cependant que les Armées acceptent la mise hors cadre de nombreux ingénieurs militaires ou officiers.

Au Parlement, certains estiment alors nécessaire de "consacrer officiellement l'existence, aujourd'hui occulte, du BEG du CEA"....ne serait-ce que pour le financer ! Une proposition de loi (PISANI) fut donc déposée (Mai 1956) sur le bureau du Conseil de la République, afin de modifier l'Ordonnance organique de 1945 et créer une division militaire au sein du CEA. Cette proposition visait, indirectement, à instituer un large débat sur l'armement nucléaire ; elle n'eut pas de suite, rien dans l'Ordonnance de 1945 n'interdisant au CEA de poursuivre des recherches dans le domaine de la Défense Nationale, bien au contraire (Note 10 : l'Ordonnance de 1945 "donne vocation expresse au Commissariat pour poursuivre les recherches dans les domaines de la Science, de l'Industrie et de la Défense Nationale"). Ce fut toutefois pour le Président du Conseil (Guy MOLLET) l'occasion de déclarer à la tribune de l'Assemblée Nationale (11 Juillet 1956) que "des études sur les explosifs nucléaires ont été amorcées et, seront poursuivies", tout en indiquant que jusqu'en 1961 la France ne procéderait à aucune explosion nucléaire.

Les directives gouvernementales ne sont pas plus précises. Cependant "l'importance donnée aux questions atomiques dans les plans de la Défense Nationale - et aux possibilités militaires dans les programmes du Commissariat - ordonne une construction simultanée de propositions qui devront encore être soumises au crible de la Présidence du Conseil et du Ministère du Budget" (Guillaumat à Lavaud - 3 Octobre 1956).

Il s'agit effectivement de coordonner le deuxième plan quinquennal du CEA (Janvier 1957 - Décembre 1961) et le plan quadriennal des Armées (Janvier 1957 - Décembre 1960) alors que la première pile plutonigène vient de diverger à Marcoule (Janvier 1956) et que l'on envisage une "usine de plutonium militaire" à MARCOULE (G3). La crise de SUEZ (Novembre 1956) et le fait que la France et son alliée britannique sont les victimes de la première opération de dissuasion nucléaire - on a parlé de "Munich atomique" - vont précipiter la signature (30 Novembre 1956) d'un Protocole où le Ministre de la Défense Nationale et des Forces Armées (BOURGES- MAUNOURY) d'une part, le secrétaire d'Etat à la Présidence du Conseil chargé des Relations avec les Assemblées et de l'Energie Atomique (G.GUILLE) d'autre part précisent leurs attributions respectives. Ce protocole est complété par un second protocole - cosigné par le Ministre des Affaires Economiques et des Finances (Paul RAMADIER) et réglant le processus des transferts financiers DN/CEA.

Un décret du 5 Décembre 1956 porte création d'un Comité des Applications Militaires du Commissariat à l'Energie Atomique (CAMEA), présidé par le Chef de l'Etat- Major de la Défense Nationale (Général ELY). En sont membres de droit les Chefs d'Etat-Major des trois Armées (Général LORILLOT, Amiral NOMY, Général BAILLY), l'Administrateur Général et le Haut Commissaire - et bien entendu un représentant du Cabinet du Ministre, le Général LAVAUD (futur DMA). Par arrêté du 25 Janvier 1957, en tant que Président du Comité de l'Energie Atomique, le ministre de tutelle du CEA désigne huit "personnalités", cinq du CEA, MM. Y ROCARD (membre du Comité de l'Energie Atomique), J. YVON (Directeur du Département des Etudes de Piles), B.GOLDSCHIMDT (Directeur chargé du Département de Chimie), P. TARANGER (Directeur Industriel) et A. BUCHALET (Chef du D.T.N.) (Note 11 : notons qu'il est temps d'officialiser la dénomination de l'ex B.E.G. C'est chose faite le 26 Février 1957. Les activités exactes restent néanmoins secrètes) - et "sur proposition du Ministre de la Défense Nationale", trois officiers généraux : le Général GUERIN (Président du Comité d'Action Scientifique de la Défense Nationale), le Général AILLERET (Chef du Groupe d'Etudes et Expérimentation Spéciale - depuis fin 1955) et l'Ingénieur Général du Génie Maritime BRARD (Chef du Service Technique des Constructions et Armes Navales - père du futur "sous marin atomique " Q 244).

A la séance inaugurale du 7 Février 1957, le Général ELY déclare : "la position de la Défense Nationale vis-à-vis du CEA n'est pas celle d'un client vis-à-vis d'un fournisseur: la DN ne peut se borner à formuler des demandes en quantité et qualité !... C'est par un examen constant des besoins de la DN, des possibilités techniques du CEA et des ressources financières communes - tous ces éléments étant examinée dans un total esprit de franchise - que seront posés les problèmes et trouvées les solutions".

Le 18 Mars 1957, sur proposition du CAMEA, le Général AILLERET est chargé officiellement (Note 12 : Décision 3895/DN/CAB/ARM du 18 Mars 1957) de superviser la totalité des essais atomiques ; il dirigera un Groupe Mixte dont la mission consiste à étudier le programme général des essais et à proposer aux deux Ministres toutes mesures organiques. Le partage des responsabilités (Note 13 : préparé par une note du Professeur ROCARD (Décembre 1956)) est entériné par le CAMEA le 20 Mars 1957 : sont à la charge du CEA/DTN les essais et mesures relatifs au fonctionnement des engins, et les essais et mesures scientifiques relatifs aux effets des engins (avec le concours éventuel des organismes qualifiés de la DN) cependant que les Armées ont la responsabilité des essais et mesures militaires relatifs à ces mêmes effets (effets physiologiques ou matériels).

Mais où vont avoir lieu ces essais ? Cela avait été une des premières préoccupations du Groupe d'Etudes et Expérimentation Spéciale, mentionné précédemment. La solution Colomb-Béchar avait été rejetée, la solution Tuamotu envisagée (avec base vie à BORA/BORA) mais sans y donner suite, quant aux KERGUELEN... on y avait renoncé ; on s'orientait plutôt vers une zone du Sahara dite "Adrar-Aoulef", où une première reconnaissance avait été effectuée dès Janvier 1957, avec la consigne suivante : "la première explosion est souhaitable sur une tour, pour permettre des mesures". Malgré le "risque de pressions économiques", du côté des pétroliers, le site de REGGAN fut bientôt choisi et, sous le vocable "Extension Nº 2 du champ de Tir de Colomb Béchar", le Résident Général à Alger (M. LACOSTE) classe terrain militaire, une zone de 108 000 km située au Sud Ouest de Reggan (Journal officiel de l'Algérie - 10 Mai 1957). Une décision du Ministre de la Défense Nationale crée un Centre d'Essais d'armes nucléaires; le premier patron en sera le Colonel LACROIX (Air). Un bataillon du Génie y arrive le 1er Octobre 1957 et les travaux d'aménagement commencent.

Reste à fixer - approximativement - la date du premier tir. Certes, nous l'avons vu plus haut, en Juillet 1956 le Président du Conseil avait bien déclaré que, jusqu'en 1961, la France ne procéderait à aucune explosion nucléaire. Mais, depuis, il y avait eu SUEZ, "l'avion de représailles" avait été demandé par le Gouvernement et la Défense Nationale voulait accélérer la préparation du premier tir. Le chemin critique passait "naturellement" par la quantité de plutonium disponible. C'est pourquoi un groupe de travail, présidé par le Général CREPIN, avait reçu mission de confronter besoins DN et possibilités CEA . en plutonium "de qualité militaire", c'est-à-dire peu chargé en Pu 240 et, par conséquent, sorti de pile "prématurément". En principe seule la pile G3 avait été construite" à la demande de la DN" ; en principe donc, le CEA pouvait utiliser G2 à sa guise - et le plan prévoyait la production d'un kilo de "sel" début 1958 et de quelques Kg de métal début 1959 (Note 14 : G3 a divergé le ll Juin 1959. Seule les piles G1, G2 étaient donc "productives" en 1959). Une "accélération" permettrait d'augmenter cette production et d'envisager un tir début 1960. Mais le Président du Conseil (BOURGES- MAUNOURY) avait "refusé de signer une décision dépassant les directives un peu vagues de son prédécesseur" (Juin 1957) et, en Octobre, l'Administrateur Général signalait à juste titre à ses partenaires militaires que " tous ces arrangements prévisionnels ne peuvent avoir de valeur réelle que si le Gouvernement décide en temps opportun, d'effectuer des expériences au début de 1960 et les finance à temps". Or tout le monde était parfaitement d'accord sur le fait qu'"une décision gouvernementale doit intervenir deux ans avant la date choisie pour l'essai" (Buchalet 24 Avril 1957). La préparation du budget 1958 allait donc être une étape décisive : le gouvernement devrait faire un choix.

On chercherait vainement la date historique de ce choix dans les archives de fin 1957, si l'on ne se souvenait de cette tradition de la 4ème République qui consistait à voter des douzièmes provisoires, le budget proprement dit n'étant voté que dans les premières semaines de l'année en cours. On constate en Mars 1958 une offensive générale contre le CEA tant à l'Assemblée (MONTALAT) que dans la presse. Simultanément une lettre du "Général BUCHALET, Conseiller Technique, à M. Le Président du Conseil des Ministres" insiste sur la "nécessité d'une décision avant le 30 Mars dans le domaine des armements nucléaires et la fixation de la date d'une première série d'explosions expérimentales" - Le 11 Avril 1958, le Président du Conseil, M. FELIX-GAILLARD, consacre l'aboutissement de la politique lancée six ans plus tôt par le jeune Secrétaire d'Etat : il signe une Décision Ministérielle prescrivant de prendre toutes dispositions pour permettre une première série d'explosions expérimentales au cours du premier trimestre 1960. Quatre jours plus tard, son Gouvernement est renversé, et c'est la longue et dernière crise gouvernementale de la 4ème République. Le 13 Mai est proche ...

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La décision du 11 Avril 1958 sera consolidée par le Général de Gaulle dès son arrivée "aux affaires", d'autant plus vite que l'Administrateur Général, M.GUILLAUMAT, est devenu Ministre des Armées. Bien que la question algérienne constitue un problème prioritaire, le Chef du Gouvernement reçoit le Général BUCHALET le Samedi 12 Juillet 1958 à 11 heures.

A défaut de compte rendu, le canevas de l'exposé que se proposait de faire le Chef du DTN a été conservé. A un bref historique tant du BEG/DTN que de l'organisation chargée de préparer les expérimentations, succédait un panorama des moyens disponibles.... et des besoins.

On peut aisément reconstituer cette "revue" du DTN tel qu'il existe début 1958 : un état-major implanté rue de MONDOVI, les centres de VAUJOURS et de B.III mentionnés précédemment avec leurs annexes respectives de MORONVILLIERS en Champagne et de VALDUC sur le plateau de Langres. A Moronvilliers, en Janvier 1957, une première "reconnaissance" a trouvé "ce camp pratiquement resté dans l'état où il se trouvait à la fin de la guerre 1914-1918, après avoir été le théâtre de plusieurs années de guerre de tranchées". Non seulement l'accès en est très difficile (trois pistes en très mauvais état), mais on envisage d'employer un "tankdozer" ou bulldozer blindé, car des munitions se trouvent encore dans cette zone : il va falloir déminer notre futur champ de tir et d'expérimentations froides. Les travaux lancés à la mi-57 furent néanmoins menés bon train, puisqu'en Février 1958 sont arrivées les premières équipes DTN.

Parallèlement, le Colonel Buchalet s'était préoccupé de disposer d'une annexe "fabrication" du Centre de B.III, hors région parisienne, "un centre spécialisé dans les montages non souhaitables en région parisienne" : avait-on le droit de manipuler 1 Kg de Plutonium à proximité de la capitale ? même si la réponse était affirmative, ne risquait-on pas de voir un jour une commission de sûreté limiter l'activité du centre à quelques kilos de plutonium ? Adjoint du Directeur de B.III, M. TIROLE partit fin Décembre 1956 explorer une région qu'il connaissait bien, la Côte d'Or, et qui présentait trois avantages : "facilité de liaisons avec Paris, bon esprit apparent de la population, faible population groupée autour des rares points d'eau". Le "site D1" était choisi en Juin 1957: le 8 Juillet, le CEA acquérait une propriété dite de "l'Abbaye" sur la commune de SALIVES, soit 175 hectares (Note 15 : la superficie actuelle est de près de 600 hectares l'extension datant de Août 1961. Le site du RIPAULT proposé par les Armées début 1957, ne fut pas retenu en raison de la trop forte densité de population. Le CEA y reviendra cinq ans plus tard ; mais avec d'autres objectifs) pour le prix de 13 millions (francs de l'époque, donc anciens !) ; cette propriété comportait des bâtiments d'habitation ("le Château"). Le futur centre de VALDUC va se développer sous l'impulsion de M. LAHILANNE, qui sera nommé "Chef du Centre Annexe D1" le 1er Octobre 1959.

En fait, Valduc ne sera que le quatrième "centre", car, entre temps, LIMEIL aura été rattaché au CEA . Comme il a été dit, la DEFA avait, en Septembre 1951, créé une Section Atomique confiée à l'Ingénieur Militaire en Chef CHANSON. Cette Section poursuivait des études sur la conception des armes nucléaires et avait développé, au Fort de LIMEIL, une "amorce neutronique" ; un brevet, intitulé "Procédé d'amorçage des réactions de fission exponentielles" fut déposé par l'ingénieur Militaire Principal CHAUDIERE (28 Mars 1958) ; la DEFA proposa (Juillet 1958) l'utilisation de cette "source" pour le premier tir expérimental. Conformément au Protocole de Mai 1955, le rattachement du Centre de Limeil au CEA allait en résulter; proposé par le Général LAVAUD dès Janvier 1957, ce rattachement devint effectif en Janvier 1959. Victime d'une grave maladie, l'Ingénieur Général CHANSON dut abandonner ses fonctions; M. BONNET fut nommé Chef du Centre (1er Janvier 1960), avec pour adjoint M. LAFFORE.

Ce tour d'horizon à la mi-58 serait incomplet si l'on ne mentionnait une pièce maîtresse, alors qu'approche la minute de vérité sur le champ de tir : j'ai nommé le Service Essais. En Avril 1957, M. LENOUVEL était le responsable des Essais au sein du DTN et, pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté, le Colonel Buchalet avait demandé au Général Ailleret (président du Groupe Mixte, comme nous l'avons vu) "que le Chef des Essais soit considéré comme le Chef d'un Service constituant une entité bien définie, et qu'aucune directive ne soit donnée directement aux subordonnés de ce Chef de Service par l'état- major du Groupe Mixte".

Fin 1957, un Service des Essais fut officiellement créé "à dater du 15 Novembre 1957", avec la mission de "préparer et exécuter toutes mesures confiées au CEA à l'occasion d'explosions nucléaires en liaison avec le Groupe Mixte d'Expérimentations Nucléaires". La note de création, signée de l'Administrateur Général et du Haut Commissaire, était bien entendu "secrète". Le Professeur LENOUVEL, devenant Chef d'un nouveau service du DTN (Physique Générale), cédait, la place à un officier de Marine , M. KAUFMANT, membre du Bureau Scientifique du DTN et, rentrant d'Australie : il avait assisté comme observateur officiel, à l'explosion expérimentale britannique de MARALINGA (25 Septembre 1957). Son Service comportait un "bureau scientifique", un bureau "prévisions" un bureau "infrastructures" et s'installait, Rue de Mondovi, avec une annexe au Fort de CHATILLON et quelques appendices (Normale Sup,LCA....), un regroupement étant envisagé dans un futur "Centre Militaire Atomique" à MONTLHERY ; en attendant, quelques barraques Fillod à B.III firent l'affaire ..... A la même époque, le Général Ailleret, à 1 étroit Boulevard de la Tour-Maubourg, avait essaimé à la Caserne de LOURCINE, Boulevard du Port Royal. C'est là que se tinrent les réunions préparatoires à la campagne et que siégea la Commission Mixte "chargée d'étudier les problèmes de sécurité se rapportant aux Essais Nucléaires" (Décembre 1957).

Mais, au fait, quel engin va-t-on tirer ? Comme les engins expérimentaux de LOS ALTOS et de MONTEBELLO, comme la bombe de NAGASAKI, ce serait un engin au Plutonium - et même au "plutonium frais", comme on disait alors pour la qualité 300 Mwj/t. En fait, à l'été 1958, alors que le réacteur G2 vient de diverger (21 Juin), on ne disposait encore que de 3 Kg de sel, mais 20 Kg de "métal" seraient normalement disponibles en Janvier 1960. Début 1957 (Note 16 : Un Comité Scientifique du DTN avait été créé le 1er Mars 1957. Il était présidé par le Haut Commissaire, qui avait pour suppléant le Professeur ROCARD), on avait défini trois engins baptisés Michaël, Samuel et Raphaël ; certains étaient à source instantanée, d'autres à source permanente. L'énergie visée était celle de "LITTLE BOY" (la bande des 20 kt) mais, de toutes façons, ce serait un engin expérimental, encore plus "joufflu", "difficilement utilisable par les formations militaires parce que trop lourd et trop encombrant". Peut-être est-ce la raison pour laquelle, fin 1957, un ingénieur militaire quitta le DTN et demanda à revenir dans son corps d'origine, faisant état "d'études médiocres et d'engins grossiers sans intérêt du point de vue militaire" ...

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Tel fut vraisemblablement la trame de l'exposé du Général Buchalet au Général de Gaulle. La conclusion de cet exposé est connue : il est souhaitable que le gouvernement "affirme une ligne politique ferme, la fasse connaître à ses différents agents et surtout en contrôle l'application par ceux-ci". Le Général Buchalet fut entendu : le 22 Juillet 1958, le Président du Conseil confirme la décision de son prédécesseur et attribue priorité à son exécution. L'ère de la clandestinité est close.

Certains - peu nombreux - vont peut-être le regretter, tels les responsables de la sécurité, le dimanche 27 Juillet 1958, lors de la "marche sur B.III" organisée par le journal "L'HUMANITE". Mais cette clandestinité présentait de graves inconvénients : comment, notamment , ne pas comprendre "l'hésitation de beaucoup d'éléments de valeur à s'intégrer ou seulement à apporter leur aide à un organisme dont la semi-clandestinité fait mal augurer de son avenir" ? Or un développement rapide du DTN est indispensable pour mener à bien la préparation et l'exécution des premières expérimentations nucléaires. Au 1er Janvier 1957, l'effectif réalisé du DTN - dans son ensemble - est de 207 agents (dont 88 ingénieurs). Les comptes-rendus de 1957 font état des difficultés à recruter techniciens et ouvriers, à tel point que l'objectif visé fin 1957 ne put être atteint. Cela représentait cependant moins de 600 agents (dont les deux tiers à B.III), soit 145 cadres (environ 130 ingénieurs) et 150 agents techniques. Il va falloir tripler cet effectif en deux ans, le décupler en moins de sept ans !

Il ne suffit d'ailleurs pas de recruter. Encore faut-il structurer cette maison en expansion, l'essentiel étant "la construction de l'engin expérimental dans les délais les meilleurs". Cette tâche va être confiée à M. ROBERT, précédemment adjoint; de M. YVON au Département des Etudes de Piles : Directeur Adjoint, chef du Département des Etudes et Fabrications, il aura la mission "d'étudier et fabriquer les prototypes d'armes atomiques explosives" ; les deux centres et leurs annexes seront sous sa coupe ; il sera assisté par M. BILLAUD, exerçant depuis 1957 les fonctions de "Chef de Projet" de l'engin expérimental (selon la terminologie actuelle). M. BUCHALET se réservait la liaison avec les ministères et les organismes officiels militaires ; il était assisté de deux adjoints, M. PARREINS, chargé des programmes militaires généraux (avec M. BENSADOUN) et M. KAUFMANT, chargé de la "préparation des explosions expérimentales" (pour la part revenant au CEA) et, de ce fait, chef du Service des Essais. Pour être complet, signalons que dans l'organigramme de 1959 (déjà évoqué au sujet de VAUJOURS), figurent un service Administratif et Financier (M. ROUET) un service de Protection contre les radiations (M. BAZIRE) et même le BRIS (M. GORDIEN), sans oublier le Bureau de Liaison de M. BRUNET et le Groupe Médico-Social du Docteur DOMERGUE.

Préparé dès Février 1958, le projet de cette nouvelle organisation du DTN subit de nombreux remaniements. Dès le lendemain de la décision ministérielle du 22 Juillet (Note 17 : signée par l'Amiral CABANIER, chef de l'Etat Major de la Défense Nationale (installé à l'Hôtel Matignon)), le texte est prêt à la signature, mais le nouvel Administrateur Général, M. COUTURE, veut "lever le camouflage" ; il écrit en ce sens au Président du Conseil. Puisque le CEA est chargé officiellement des applications militaires de l'énergie atomique, pourquoi ne pas appeler un chat un chat, et créer une Direction des Applications Militaires ?... quitte à garder secret le texte d'organisation....

Et le 12 Septembre 1958, c'est chose faite : la DAM est née.

Moins de dix-huit mois plus tard, c'est le succès de GERBOISE BLEUE (13 Février 1960). Le Général BUCHALET va pouvoir "passer le manche" à M. ROBERT : il a bien mérité de la Patrie.

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A N N E X E   1

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Chronologie

03 Juillet 1952 Loi de programme "pour la réalisation du plan de développement de l'énergie atomique"
29 Décembre 1954 Création du BEG (Colonel BUCHALET)
01 Mars 1955 Accord KOENIG - PALEWSKI. Le CEA "Maître d'œuvre en matière d'armement atomique"
20 Mai 1955 Premier Protocole Armées/CEA
03 Juin 1955 Création du Centre de VAUJOURS
  Juillet 1955 Achat du Domaine de RUE (B.III)
  Novembre 1956 Protocole a/s transferts financiers Armées/CEA
26 Février 1957 Le BEG fait place au DTN
18 Mars 1957 Gl AILLERET chargé de superviser les expérimentations atomiques
10 Mai 1957 Classement du Polygone de REGGAN
  Juin 1957 Création de l'Annexe de MORONVILLIERS
  Juillet 1957 Achat du Domaine de l'Abbaye (VALDUC)
  Novembre 1957 Création du Service des ESSAIS
11 Avril 1958 Décision Gouvernementale : Première explosion expérimentale à préparer pour le premier trimestre 1960
22 Juillet 1958 Le Général de GAULLE confirme cette décision
12 Septembre 1958 Création de la Direction des Applications Militaires
01 Janvier 1959 Rattachement officiel du Centre de LIMEIL


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A N N E X E   2

Allocution du Général Buchalet le 13 février 1960. (voir document précédent).