Introduction

Avec l'accord de l'émetteur, je publie ci-après le texte d'un message à Pierre Jamet d'un témoin de l'explosion atomique du 13 février 1960, monsieur Olivier Villalongue, alors appelé du contingent, et qui a utilisé ses temps de loisir très intelligemment. P.B.



A propos de la première expérience atomique française au Sahara

un appelé du contingent témoigne

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt l’article de Pierre Jamet intitulé "Ma participation à la première explosion atomique française dans le Sahara".
A l’autre bout de l’échelle, j’ai aussi participé à cette explosion, car, simple appelé, c’est moi qui ai placé la première balise sur l’emplacement qui est devenu le Point Zéro . Il s’agissait d’un bidon métallique de 200 litres peint en noir et rempli de sable, où le chiffre zéro était peint en rouge.
Il a fallu d’ailleurs déplacer un peu plus tard le Point Zéro de quelques dizaines de mètres, pour éviter une butte de sable qui, en se pulvérisant au moment de l’explosion, aurait pu occulter les caméras.
Cette matérialisation de Point Zéro était l’achèvement d’un travail de plusieurs semaines où nous avions déposé dans le désert des séries de bidons noirs ornés d’un chiffre rouge, pour quadriller le champ de tir sur une zone qui faisait, paraît-il, cent kilomètres sur cent.
Nous découvrions souvent des surprises : lacs salés desséchés où la pression du pied faisait ressortir l’eau, squelettes et œufs de dinosaures, forêts de bois pétrifiés, ou simplement vestiges de forages pétroliers noyés dans le sable.
Le balisage terminé, nous avons changé d’activité: mise au point d’un ensemble de transmission par B.L.U. qui permettait, une fois les réglages terminés (deux mois) d’obtenir n’importe quel abonné en France en décrochant un combiné téléphonique depuis Reggane. C’était une réussite pour l’époque.
On nous a ensuite spécialisés (J’étais radio) dans la météo, et nous étions une quinzaine à capter 24 heures sur 24 les émissions de tout un côté du globe. Ces renseignements étaient exploités par des spécialistes de haut niveau venus de France en même temps que le Général Ailleret, dont la première directive a été de rendre obligatoire le port du chapeau de brousse au lieu du calot, pour nous protéger des insolations. Quant au képi bleu des troupes sahariennes, c’était un luxe réservé aux grandes cérémonies.
Nous sommes alors entrés dans une période sans imprévus, très routinière. Nous faisions les trois huit comme des civils, dans une magnifique station radio toute neuve. J’ai tout de même pu traverser trois fois le Tanezrouf jusqu’au Soudan, par le célèbre poste de Bidon 5, pour ravitailler un radar à Tessalit.
Et nous avions des loisirs, ce qui m’a permis à moi aussi de flâner un peu autour du camp, et notamment de visiter la forteresse où Pierre Jamet s’est fait confisquer sa jeep par la P.M.
J’ai même eu le temps de me présenter au Certificat d’Etudes Primaires pour adultes, diplôme que je n’avais pas, et dont la session devait se tenir à Colomb Béchar, plus de mille kilomètres au nord. Nous étions trois candidats, comblés à l’idée de faire ce déplacement. Mais les instituteurs de Colomb Béchar ont déjoué nos projets: ce sont eux qui sont venus nous faire passer l’examen sur place, tout heureux de pouvoir visiter la base. Il y avait à cette époque un tel pont aérien de Nord Atlas et même Bréguet deux ponts que leur déplacement n’a entraîné aucune dépense supplémentaire pour les contribuables. Et plusieurs mois après la Quille, j’ai eu la surprise de recevoir par la poste un beau diplôme de Certificat d’Etudes Primaires établi par l’Académie de Colomb Béchar.
La description que donne l’auteur de l’explosion et du développement du champignon, dont les couleurs étaient extraordinaires au lever du soleil, correspond exactement à mes souvenirs. Mais nous ne savions pas que l’avion qui circulait à travers le nuage radioactif était piloté par un homme, nous le croyions téléguidé.
Et plus de quarante ans après, j’ai enfin l’explication de ces curieuses petites traînées de fumée proches du champignon atomique: Il s’agissait des fusées fumigènes de Pierre JAMET!