Essai sur le Pressus


u cours de la réforme de style intervenue à Solesmes dans les années 70, le pressus a été l’un des principaux sujets de controverse et de révision. Un examen serein des sources d’information, notamment des manuscrits (selon le Graduale Triplex), et aussi l’écoute de disques enregistrés à Solesmes, permettront, nous l’espérons, de ramener ce débat, au demeurant assez compliqué, à une dimension plus modeste, et ainsi d’aider les choristes paroissiaux à trouver un juste milieu pratique.

Principales références utilisées :

Abbaye Saint-Pierre de Solesmes, Graduale Triplex
Dom Mocquereau, Nombre musical grégorien, vol I, pp 300-335
Dom Cardine, Sémiologie grégorienne, pp 76-89
Dom Pothier, Les mélodies grégoriennes, pp 121, 126-127
Premières éditions de livres de chant (Vaticanes)

Les sources manuscrites

ue disent les manuscrits ? On y trouve en abondance les deux formes du pressus : le pressus minor, neume descendant de deux notes, et le pressus major, avec deux notes à l’unisson suivies d’une note plus basse. Sur la figure ci-après apparaissent les pressus dans les deux écritures, messine et sangallienne, ainsi que la transcription moderne de Solesmes.



Les formes compactes des signes sangalliens ne laisse aucun doute sur la qualité de neumes de ces signes, donc sur une exécution liée des notes composantes. Les dessins de Laon, bien que décomposés en leur deux ou trois notes, correspondent pareillement à de vrais neumes, en raison de la superposition de deux des notes, se chantant de haut en bas.
La première note du pressus minor est toujours à l’unisson de la note précédente, soit séparée soit liée dans un mélisme. Le terme pressus vient du verbe premere, dont l'un des sens est "réunir, rapprocher en serrant". La particularité essentielle des neumes sangalliens est la forme ondulée de la note pénultième, qui permet d’assimiler celle-ci à un oriscus, avec une grande probabilité, ce que confirme d'ailleurs directement la transcription messine. Par voie de conséquence, ces notes de forme ondulée doivent normalement se chanter tremblées, ce qui avait été prévu comme on le verra plus loin dans les instructions figurant en tête des premières éditions de livres de chant de Solesmes. Mais on conviendra que l’exécution tremblée de notes est peu adaptée au chant en groupe, et donc plutôt réservée à des solistes.
Si le notateur médiéval dessine un pressus, au lieu d’une clivis ou autre neume mélodiquement équivalent, c’est qu’il a entendu une note tremblée, car le manuscrit reflète en principe exactement une audition concrète. D’où les différences constatées entre manuscrits selon que le chantre a, ou non, tremblé telle note. Cette observation toute simple semble avoir échappé à Dom Mocquereau aussi bien qu’à Dom Cardine, l’un et l’autre s’évertuant à déduire des "équivalences" d’interprétation, le premier en faveur d’une fusion systématique des deux premières notes en une note doublée, l’autre préconisant la répercussion de l'oriscus. Si la répercussion de la première note d’un pressus minor bien détaché graphiquement de la note précédente paraît acceptable, en revanche il semble inadmissible de briser l’unité graphique très affirmée du pressus major en répercutant systématiquement l’oriscus, sous prétexte qu'on a trouvé dans certains manuscrits le pressus éclaté, et ses notes réparties au profit des neumes voisins (thèse de Dom Cardine, voir plus loin aux conclusions).

Les éditions modernes

la suite des travaux de la commission réunie par le Vatican pour fixer les mélodies grégoriennes à utiliser officiellement en liturgie, plusieurs éditions vont paraître, qualifiées de "vaticanes". Un graduel en latin, de 1908, publié en Belgique par H. Dessain ne comporte aucun signe de rythme en dehors des barres, doubles barres, demi barres, quarts de barre. Ni épisème, ni point mora. Un autre graduel, publié à Tournai et Rome, par Desclée, également en 1908, a servi à Dom Cardine pour son graduel neumé. Cette édition comporte tous les signes rythmiques de Solesmes, épisèmes horizontaux et verticaux, points mora. Ce même ouvrage de 1908 a dû également servir de référence à Dom Cardine pour sa Sémiologie. De même, une édition de Graduale Romanum de 1910, par Desclée, avec les signes rythmiques, ne présente aucune différence avec les exemples précédents en ce qui concerne les instructions d'interprétation données en tête.

Ces instructions d'interprétation datant de 1908-1910 sont intéressantes à divers titres. On y trouve un tableau de signes neumatiques simples et complexes, où le pressus est figuré, d'une part isolé comme un pressus major, d'autre part en apposition, c'est-à-dire précédé et suivi d'autres notes. On a reproduit dans la figure ci-après les deux avant-dernières lignes de ce tableau, où l'on trouve en outre une clivis et un torculus complété par un strophicus ou un oriscus, seules allusions directes à ce dernier signe singulier.


Nous voyons ici apparaître par illustration graphique ce que nous appellerons le "pressus de rencontre", que Solesmes adoptera par la suite comme principale définition du pressus. Ainsi dans les éditions de 1962 peut-on lire :
"Pressus". On appelle pressus la rencontre de deux notes sur un même degré, ce qui peut arriver de la manière suivante:
a) par un punctum placé devant la première note d'une clivis ;
b) par la juxtaposition de deux neumes, la dernière note du premier se trouvant sur le même degré que la première du second."
(Suivent quatre illustrations des cas podatus et clivis, clivis et clivis, climacus et clivis, scandicus et climacus). Il est ensuite ajouté :
"Les deux notes juxtaposées dans la notation grégorienne se fusionnent dans l'exécution et n'en forment plus qu'une seule de valeur double: dans le pressus, l'ictus est sur la première des deux notes à l'unisson." A ce propos, deux remarques s'imposent. D'une part, Solesmes n'a pas le choix des moyens, privé d'un signe distinctif pour l'oriscus, qu'il récuse d'ailleurs comme composant obligé des pressus, et en plus écartant toute idée de tremblement. C'est pourquoi le pressus de rencontre solesmien n'est plus un neume au sens propre, mais un regroupement plus ou moins hasardeux de notes prélevées sur des neumes voisins qui se trouvent de ce fait dénaturés. D'autre part la définition du pressus solesmien est fautive en ce qu'elle oublie de préciser que la note suivant la juxtaposition fusionnée à l'exécution est toujours au grave. De sorte que théoriquement un chanteur pourrait légitimement prendre pour un pressus une rencontre à l'unisson issue d'une bivirga, ou du rapprochement d'un climacus suivi d'un scandicus, par exemple, ou d'autres cas similaires faciles à imaginer.
Il ne faudrait pas croire que cette définition est une invention du XXe siècle. On la trouve, pratiquement dans les mêmes termes, dans Les mélodies grégoriennes de Dom Pothier (1880- pages 121, 126). En outre, par une dérive inévitable, la note qui suit les deux notes à l'unisson n'est plus incluse dans la notion moderne du pressus, alors qu'elle était partie intégrante des signes manuscrits. On n'en parle plus! Nous demandons ici au lecteur de faire preuve d'une attention particulière,...et de patience. Car nous allons reprendre une information qui va en partie à l'encontre de ce qui a été dit précédemment. Il s'agit d'un passage des instructions données en latin en tête des éditions les plus anciennes de Solesmes, datant de 1908-1910. Les expressions "tremula voce", "tremulae vocis", apparaissent dans les commentaires explicatifs donnés à propos des strophicus, des pressus et des quilismas, à la suite du tableau des neumes et combinaisons de neumes qui figure en tête des instructions. Ces expressions évoquant selon toute probabilité l'éventualité de notes tremblées, nous avons voulu en avoir le coeur net et avons demandé à notre ami Pierre Bottet de traduire du latin en français la partie intéressante de ces instructions. Nous remercions ici vivement Pierre Bottet de sa précieuse contribution. Cette traduction est donnée in extenso en Annexe I et concerne la quasi-totalité des instructions (il ne manque que les deux premiers alinéas, sans grande importance). Reprenons ci-après les deux paragraphes notés 4° et 5° de ce texte, en y soulignant les mots saillants.
4°. Quand plusieurs notes simples, comme dans le strophicus ou le pressus et d'autres comparables, sont apposées, disposées sur le même degré, séparées par peu d'espace, il faut s'attarder sur elles dans une "tenue variable", en fonction de leur nombre plus ou moins grand. Cependant, strophicus et pressus s'opposent, en ce que celui-ci doit être produit plus fortement, ou même, ad libitum, avec un "tremblement de la voix"; celui-là par contre plus doucement, à moins que l'accent plus acéré de la syllabe occurrente n'impose un appui plus marqué.
5°. Il existe une autre note tremblée, c'est le quilisma; il survient dans le chant comme une "fleur mélodique", et on le qualifie de "note roulée par paliers". Celui qui n'a pas appris à produire ces sons tremblés et roulés, ou qui, y étant exercé, ne chante pas seul, qu'il frappe simplement la note qui précède le quilisma avec davantage de mordant, afin que le son de ce quilisma ressorte plus subtil, plutôt que plus rapide.
Le tremblement ad libitum du pressus évoque à l'évidence la note oriscus des pressus manuscrits. Pour le quilisma, le traducteur a rendu le latin "nota volubilis et gradata" en s'inspirant du développement de ce sujet donné par Dom Pothier dans ses Mélodies grégoriennes, page 127 de la réédition de 1980. Notons que ces instructions réservent explicitement ces ornements vocaux aux solistes exercés.
La lecture du reste des instructions données en annexe n'est pas sans intérêt. Beaucoup de conseils restent de parfaite actualité. Nous avons enregistré pour notre part avec satisfaction le passage final relatif aux neumes et la façon de les chanter, qu'ils soient affectés à une seule syllabe, ou en mélisme, conception que nous partageons totalement.

Analyse d'une pièce exemplaire du point de vue des pressus

ous avons à titre d'exemple analysé en détail une pièce riche en juxtapositions de notes, dont nous possédons par ailleurs l'enregistrement par le Choeur de Solesmes sous la direction de Dom Gajard. Il s'agit du graduel de Noël Tecum principium de la messe de minuit. Le lecteur trouvera en Annexe II les principaux passages intéressants reproduits de l'édition Triplex, avec brefs commentaires.

L'une des remarques générales qui s'imposent est la négligence de reproduction dans l'édition vaticane de plusieurs bivirgas, certaines épisémées. Ces bivirgas, qui se situent sur la corde Ut, n'ont pas de queue, et par conséquent ne peuvent se distinguer à l'oeil de distrophas (elles aussi toujours sur Ut), ce qui n'est pas sans conséquence du point de vue de la traduction vocale, les distrophas devant être légères et à peine répercutées, les bivirgas soutenues, et en principe fusionnées en notes doubles. Le chanteur averti aurait intérêt, avec l'aide du Triplex, à restaurer à la main les queues manquant aux bivirgas amputées.
On trouve de nombreux cas de "pressus de rencontre". Certains de ces cas, qui concernent deux clivis successives dotées d'épisèmes, pourraient ad libitum s'agrémenter d'une répercussion de la deuxième note à l'unisson, contrairement à la régle de Solesmes, car nous n'avons plus là la cohérence d'un vrai pressus.
Nous avons procédé à l'écoute attentive et répétée de l'enregistrement de ce graduel par Solesmes-Dom Gajard, et voici nos principales constatations :
1-
Les distrophas et tristrophas sont toujours très légères et rapides. La répercussion des notes est le plus souvent peu perceptible, à cause du chevauchement des voix.
2-
Les bivirgas sont liées, fermes, mais sans lourdeur ou insistance.
3-
Des deux trigons le premier (sur ci de luciferum) est répercuté légèrement sur la deuxième note (conformément à la conception de Dom Cardine). Les deux sont émis très légers.
4-
Les vrais pressus et les pressus de rencontre ne se distinguent pas particulièrement. Tous sont chantés liés, sans lourdeur, sans allongement particulier. On notera la répercussion bien respectée (quoique légère, demandée par un épisème vertical) intervenant sur Ut dans le mélisme terminal de la pièce.
5-
De manière générale on retrouve avec plaisir les nuances de la Méthode de Solesmes, bien en place, dans un mouvement fluide et coulant et un legato sans défaut, concourant à exprimer parfaitement l'allégresse inhérente à ce chant de Noël.

Conclusion générale et conseils aux chanteurs

ette étude s'est révélée difficile en raison des idées reçues brouillant le sujet du pressus grégorien, et il faut le dire des imprécisions, des contradictions et même des erreurs des rédacteurs des premières éditions de livres de chant de Solesmes dans la première décennie du XXe siècle, quel que soit par ailleurs le mérite évident de ces "pionniers".

Le point du sujet "pressus" le plus controversé est celui de la possibilité d'une répercussion de la deuxième note à l'unisson des groupes "pressus" ou assimilés. La consultation du Graduale Triplex permet de déceler les cas de faux pressus, ou pressus de rencontre. Il arrive, et nous l'avons signalé à l'occasion, que l'éventualité d'une telle répercussion pourrait se justifier lorsqu'il ne s'agit pas d'un vrai pressus selon le manuscrit de Saint-Gall. Pour un chantre exercé, chantant seul, la répercussion est possible sans compromettre le legato. On peut par exemple la faire au levé, très légèrement. On peut aussi, si la première note à l'unisson est épisémée par le manuscrit, la doubler franchement et mettre un ictus sur la seconde. Ceci est affaire de pratique. Mais le chantre peu exercé, ou qui ne dispose pas du Triplex, ou qui chante en groupe, peut fort bien conserver les règles de la Méthode de Solesmes, sans faire de répercussion, qu'il s'agisse de pressus vrais ou faux, peu importe. Car une remarque fondamentale s'impose : il est à peu près impossible de chanter vraiment legato deux notes successives à l'unisson sur une même syllabe sans les fusionner. C'est là une observation de bon sens, évidente pour tout chanteur conscient de ce qu'il fait, une pente naturelle, qui explique que dès le début de la restauration grégorienne, en particulier du temps de Dom Pothier, on ait spontanément fusionné les notes à l'unisson survenant sur une même syllabe, qu'il s'agissse d'un pressus d'origine manuscrite ou d'une autre sorte de juxtaposition. Les règles que l'on a ensuite posées en ce sens ne faisaient qu'entériner une tendance spontanée. Faire autrement, c'est-à-dire répercuter "exprès" la seconde note, a toutes chances de ruiner le legato, à moins de s'y prendre avec une virtuosité consommée, accessible seulement aux chanteurs très entraînés.
La thèse de Dom Cardine, exposée longuement aux pages 86 à 88 de l'édition française de la Sémiologie grégorienne (Solesmes, 1970), demande au contraire la répercussion systématique de la "note à l'unisson". Ce raisonnement, basé essentiellement sur une improbable invariance orale, et présenté en six "arguments", peut aussi bien être retourné et abonder dans le sens de la fusion. Cette thèse de la répercussion systématique n'a aucune justification solide et doit être rejetée.

Pierre Billaud (janvier 2004)




Annexe I

TRADUCTION D'UN EXTRAIT DE LA PREFACE DE L'EDITION VATICANE

par Pierre Bottet

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Pour que personne ne se trompe ou n'hésite dans l'interprétation de ces figures il faut d'abord faire quelques remarques :

1-
Les doubles notes dont se compose le podatus sont à comprendre de manière à ce que la note la plus basse soit exécutée avant celle qui est immédiatement au dessus.
 
2-
La ligne grasse du porrectus tirée obliquement, représente deux notes, l'une au sommet de la ligne, la suivante à l'autre extrémité.
 
3-
Les demi-notes qui terminent le cephalicus et l'epiphonus , ne se trouvent qu'à la fin d'une syllabe, quand arrivent des voyelles jumelées prononcées comme des diphtongues, par ex. AUtem, EIus, allelUIa; ou plusieurs consonnes rapprochées, par ex. OMNis, sa NCTus . Car par la force des syllabes, la voix passant de l'une à l'autre "fond"; de telle manière que, comprimée dans la bouche, "on ne la voit pas finir", elle perd presque la moitié, non de sa durée, mais de sa puissance. (Cf. Guid., Microl., C, XV).
Quand la nature des syllabes exige vraiment que le son ne "fonde" pas, mais qu'il soit "proféré pleinement", l'epiphonus cède la place au podatus, et le cephalicus à la clivis.
 
 
Il arrive que deux notes qui en suivent une autre, plus élevée, ou virga, à la manière d'un climacus, se liquéfient, ou du moins la dernière d'entre elles ; alors les deux sont tracées en plus petits caractères , ou changées en un cephalicus apposé à la virga. Un neume de ce type voisin du climacus est appelé ancus.
4-
Quand plusieurs notes simples, comme dans le strophicus ou le pressus et d'autres comparables, sont apposées, disposées sur le même degré, séparées par peu d'espace, il faut s'attarder sur elles dans un "mouvement incertain", en fonction de leur nombre plus ou moins grand. Cependant, strophicus et pressus s'opposent, en ce que celui-ci doit être produit plus fortement, ou même, ad libitum, avec un "tremblement de la voix"; celui-la par contre plus doucement, à moins que l'accent plus acéré de la syllabe occurrente n'impose un appui plus marqué.
5-
Il existe une autre note tremblée, c'est le quilisma; il survient dans le chant comme une "fleur mélodique", et on le qualifie de "note arrondie et progressive". Celui qui n'a pas appris à produire ces sons tremblés et arrondis, ou qui, y étant exercé, ne chante pas seul, qu'il frappe simplement la note qui précède le quilisma avec davantage de mordant, afin que le son de ce quilisma ressorte plus subtil, plutôt que plus rapide.
6-
La queue qui marque le sommet d'un climacus, d'une clivis et d'un porrectus, "appartient de droit" à l'image de ceux-ci que nous ont transmise les anciens. Cette note s'accommode le plus souvent d'un élan plus vigoureux; non tellement en raison de sa queue, mais parce que, non liée à une autre qui la précéderait, elle est frappée avec un appui direct de la voix. La petite ligne tirée d'une note à l'autre est simplement là pour les relier.
7-
Les points inclinés qui suivent la note supérieure de certains neumes n'ont pas d'influence par eux-mêmes sur la mesure . Ceux-ci sont évidemment soumis à celle-la du fait de leur forme et de leur disposition oblique; et ils sont chantés legato.

Mais chaque neume, quelque soit la manière dont le scribe en a joint les parties, ne forme qu'un seul corps dans le chant; de telle façon que les notes qui suivent la première paraissent naître d'elle, toutes participant d'un élan commun.
La même cause qui fait joindre entre elles les notes de chaque neume dans la notation comme dans le chant, conduit à distinguer les neumes entre eux à l'oeil et à l'oreille : ce qui se fait partout, de manière diverse et selon l'environnement.

1-
Quand les neumes correspondent aux syllabes, et que celles ci sont articulées de façon distincte, ceux-ci doivent aussi être distingués; alors chaque neume emprunte sa nature et sa force à la syllabe à laquelle il est affecté, de manière que le neume reçoive un élan plus grand si la syllabe est plus fortement accentuée - moins grand si la nature de la syllabe requiert un son plus obscur.
2-
Quand plusieurs neumes sont affectés à la même syllabe, on divise leur série en différentes parties, de sorte que les unes s'enchaînent, soit de façon absolue, soit approximativement ( voir ci-dessous A ), tandis que d'autres, séparées soit par un espace (B), soit par une barre (C), restent en suspens par quelque retard de la voix sur le dernier son, avec la faculté, s'il y a lieu, de reprendre souffle brièvement.

A noter qu'il faut donner un retard assez large, mais non une respiration, quand survient une note caudée (D), qui domine quelque neume.

Selon la "règle d'or", à la fin de chaque neume suivi immédiatement d'une nouvelle syllabe d'un mot déjà commencé, il ne peut être fait de pause, quel que soit l'espace; ni un retard sur la dernière note, ni à fortiori un silence, qui couperait la diction de façon incongrue.
Dans tout chant il convient d'observer des séparations d'importance variable en fonction de ce qu'impose ou permet l'intelligence tant du texte que de la mélodie. Viennent en aide aux chanteurs divers signes de ponctuation déjà en usage dans les livres de chant pour exprimer la diversité de qualité ou de mesure des séparations ou des pauses, soit : grande barre, demi barre, quart de barre, double barre.


1-
La grande barre s'observe par un ralentissement modéré de l'allure sur les dernières notes et une reprise complète de respiration.
2-
La demi barre donne lieu à un léger ralentissement , et simultanément une brève respiration.
3-
Le quart de barre consiste en un léger retard de la voix, et il est permis, si besoin est, de reprendre son souffle très brièvement. Si le chanteur doit plus souvent épargner ses poumons, alors qu'il reprenne subrepticement son souffle la où il trouve des interstices dans le discours ou dans la musique, mais que jamais il ne coupe un mot ou un neume.
4-
La double barre clôt soit le chant proprement dit, soit au moins une de ses parties principales.

Une barre double d'une autre nature se trouve communément dans les livres de chant : elle note l'endroit ou le choeur reprend le chant après qu'il ait été entonné, ou bien celui où les deux choeurs alternent. Mais comme un signe de ce genre intercalé dans la pièce nuit à la continuité de celle-ci, il est préférable de le remplacer par un astérisque*, comme dans l'exemple plus haut : Kyrie eleison.
On met un astérisque simple* là et dans des cas analogues, où le choeur qui chantait doit se taire pour laisser un autre continuer le chant; et au contraire un astérisque double**, si les deux choeurs doivent chanter ensemble, ou même si le chant se conclut toutes voix réunies.
Il faut savoir que le bémol, quand il est porté, ne vaut que jusqu'à ce que survienne un bécarre, ou une barre, ou un nouveau mot.
Tout ceci étant bien perçu, il importe que tous ceux qui contribuent à la louange divine soient instruits de toutes les règles du chant, qu'ils les observent avec zèle; de manière que l'intelligence soit toujours en accord avec la voix.
D'abord il faut veiller à ce que les paroles chantées soient clairement et parfaitement comprises (Benoît XIV). Il importe en effet que le chant n'évacue pas le sens, mais le féconde (St Bernard, Ep. 312).
Dans tout texte, leçon, psalmodie, ou chant, ne négligez pas, dans la mesure des moyens, l'accent ou l'accord des paroles; car c'est par là que se sent l'intelligence (Instituta Patrum).
Il faut aussi apporter le plus grand soin à ce que les cantiques sacrés ne soient pas viciés par quelque inégalité du chant. Que par moments quelque neume ou quelque son ne soit pas distendu ou abrégé de manière excessive. Veillons toujours à l'unité du style, dans le chant comme dans les pauses. Si nous chantons dans le ton de la tristesse, que la pause soit plus longue. Afin que dans le choeur, chose nécessaire, toutes les voix n'en fassent plus qu'une, que chacun s'efforce humblement de fondre sa voix dans le choeur chantant à l'unisson.
Détestons tout artifice vocal, toute jactance ou étrangeté, et tout ce qui sent le théâtre. N'imitons pas ceux qui précipitent le chant avec une grande légèreté, ou qui alourdissent maladroitement les syllabes. Que nous chantions dans un mode triste ou allègre, exécutons tout chant avec aisance et élégance (Hucbald, Nicetas, Instituta patrum).
Nous avons recueilli tout cela du giron des Saints Pères; de ceux qui eux-même ont appris des Anges cette manière de chanter; d'autres, sous l'action du Saint Esprit dans leurs coeurs, l'ont perçu par la contemplation. Si nous nous efforçons par une étude appliquée d'imiter cette manière, puissions-nous, nous aussi, percevoir la douceur subtile de l'entendement, chantant pour Dieu dans nos coeurs, notre esprit et notre intelligence (Inst. Patrum).
Ceux à qui incombe la charge de chanter dans l'Église de Dieu doivent être bien instruits des rites de son Office. C'est pourquoi nous faisons suivre ci-dessous les principales règles parmi celles qui se rapportent au Graduel.



Annexe II

Examen de quelques cas de notes juxtaposées, extraits du graduel Tecum principium

Exemple 1.1
Clé d'ut 3e ligne. Ornements de in die. Bivirga épisémée, non caudée par Solesmes. Distropha légère.
Exemple 1.2
Clé d'ut 3e ligne. Ornements de tuae. Bivirga, puis après le groupe quilismatique, une clivis enchaînée à un oriscus, formant pressus de rencontre solesmien. Il y a lieu de penser que les chantres médiévaux distinguaient l'oriscus en le modulant, avant le torculus terminal de ce membre. La notation de Laon (L) est cohérente avec celle de Saint-Gall (SG), sauf l'allongement de la dernière note du climacus précédant le quilisma.
Exemple 1.3
Clé d'ut 3e ligne. On note ici une bivirga, allongée dans les deux manuscrits, mais pas par Solesmes (et non caudée), ainsi qu'un pressus de rencontre entre deux clivis épisémées, où une légère répercussion pourrait se justifier.
Exemple 1.4
Clé d'ut 3e ligne. On remarque d'abord une tristropha, puis en fin de cadence un pressus de rencontre (clivis plus apostropha) suivi immédiatement d'un pressus vrai. Noter la forme du pressus adoptée par Laon, punctum associé à une clivis à première note ébranlée, variante de la représentation type donnée en Figure initiale. La note "ébranlée" est l'oriscus du pressus, et doit normalement être tremblée à l'exécution. Il n'y a pas lieu de répercuter la seconde note de ce pressus, qui doit normalement s'enchaîner en tremblant sur la note précédente, sans marquer de distinction. En chant de groupe, il faut seulement fusionner les notes.
Exemple 1.5
 
Clé d'ut 3e ligne. Ornementation de luciferum. On remarque d'abord un groupe de trois notes ressemblant à un pressus, mais noté dans les manuscrits comme trigon, à chanter légèrement. Dans la cadence de membre, trois groupes formant pressus de rencontre apparaissent, association podatus-clivis, bivirga, et clivis-clivis, ce dernier groupe fortement épisémé, appelant ad libitum soit une fusion marquée des notes à l'unisson, soit au contraire une nette répercussion de la dernière clivis.
Exemple 1.6
Clé d'ut 3e ligne. Début de l'ornementation de la syllabe me- de dextris meis. On y trouve trois vrais pressus chez SG, un p.minor, un p.major (épisémé), et un p.minor, où les p.minor sont à l'unisson d'une note précédente, tractulus ou apostropha. Dans la notation messine le découpage neumatique est très différent, les neumes commençant directement par l'oriscus, ce qui suggère une nette répercussion tremblée de ces notes, alors que chez SG, il y a certainement fusion du pressus major, et peut-être aussi des deux p.minor.
Exemple 1.7
Clé d'ut 3e ligne. Ornementation de donec ponam. On remarque une bivirga épisémée dans SG et allongée dans L, sans que ces nuances soient répercutées par Solesmes, qui omet d'ailleurs de cauder les notes en question. En fin d'incise, un pressus de rencontre entre deux clivis à première note épisémée (SG). Une légère répercussion de la première note de la seconde clivis serait légitime.
Exemple 1.8
Les deux syllabes de tuos sont ornées d'une tristropha, et de deux autres juxtapositions, clivis plus apostropha à l'unisson, puis vrai pressus. La notation de Laon est incomplète.
Exemple 1.9
Clé d'ut 3e ligne. Ornement des deux premières syllabes de scabellum. D'abord bivirga épisémée (non caudées par Solesmes), et plus loin un similipressus noté en trigon chez SG.
Exemple 1.10
Clé d'ut 3e ligne. Mélisme cadentiel ornant la dernière syllabe de scabellum. Deux pressus de rencontre, le premier par association podatus-clivis, où la première note à l'unisson est épisémée dans SG, invitant à y poser l'ictus et à lier la deuxième sans répercussion. La bivirga qui suit (virga plus climacus) n'appelle pas de remarque particulière, sauf peut-être possibilité d'une très légère répercussion du climacus. Le dernier groupement est remarquable en ce qu'il est lourdement épisémé chez SG, suggérant un net allongement de la deuxième note de la clivis, et légère répercussion de la deuxième clivis.