Recherche d'une RestitutionVocale

des Notes Tremblées en Chant Grégorien


Introduction

a recherche de traductions vocales des notes singulières du chant grégorien ne peut reposer malheureusement sur aucune référence écrite certaine et ne peut donc que résulter d'un réexamen spécial des éléments connus et notamment des manuscrits les plus authentiques, ainsi que sur une expérimentation étendue des solutions envisagées.

Ces traductions vocales éventuelles n'auraient de raison d'être que si elles étaient non seulement acceptables à l'écoute, mais en outre si elles apportaient un indiscutable supplément de qualité à l'expression liturgique.
La preuve éventuelle d'un aboutissement pouvant être considéré comme satisfaisant est présentée sous la forme d'un enregistrement sonore de pièces riches en notes singulières, au nombre de onze.

Notes concernées par un éventuel tremblement

l s'agit principalement d'une part du quilisma, d'autre part de l'oriscus sous ses différentes formes et dans ses différents emplois mélodiques. Nous avons rappelé dans un précédent article que les instructions en latin en préface des livres de chant des premières éditions officielles (1908), que l'on retrouve sans modification dans des éditions bien plus tardives (Graduale Romanum 1961), mentionnaient la possibilité de "tremula voce" pour les strophicus et pressus (en réalité les oriscus de ces neumes), et aussi pour le quilisma. C'est là, indiscutablement, la rémanence d'une tradition ancienne de modulation vocale de ces notes. Cependant, contrairement à Dom Pothier qui évoquait explicitement cette possibilité dans ses Mélodies grégoriennes, ni Dom Mocquereau ni Dom Cardine n'ont voulu l'admettre, bien que l'existence de ces signes, très fréquents dans les manuscrits (Cf. Graduale Triplex), à la place de neumes courants équivalents mélodiquement, ne puisse s'expliquer de façon convaincante qu'en leur attribuant un rôle particulier clair et indiscutable. Peut-être ces éminents auteurs ont-ils été desservis par l'absence, à l'époque de leurs études, d'un document équivalant au Graduale Triplex. En effet cet ouvrage présente pour la plupart des pièces, en face de la transcription moderne de Solesmes, les notations de deux manuscrits très différents en graphisme, quoique remarquablement concordants sémiologiquement, note par note. En particulier, l'unicité de l'oriscus dans ses divers emplois devient évidente par l'utilisation constante par Laon (codex 239) des mêmes signes graphiques pour cette note singulière. Il est vrai aussi que la restauration grégorienne depuis Dom Guéranger s'est toujours développée dans un contexte de chant en groupe, pour les chœurs monastiques ou les chorales paroissiales, ce qui semblait exclure toute modulation vocale de note ou de groupe.

Sans préjuger du cadre d'exécution des chants, en solo comme au Moyen Age pour les pièces très ornées, ou en groupe, il nous est apparu légitime de rechercher des solutions vocales à ces notes singulières, pour les transformer en ornements contribuant à l'expression. Le présent enregistrement concrétise le résultat de cette recherche. Aux onze pièces ornées proprement dites, nous avons ajouté, en tête, le Veni Creator, et à la fin le Magnificat de Noël avec son antienne.

Cas du quilisma

Nous avons essayé, dans la ligne tracée par Dom Pothier (Les mélodies grégoriennes, édition de 1980, pages 127-129), différentes solutions de montée brisée sur les degrés du mode en cours. L'expérience s'est révélée facile et assez concluante.
Dans le cas fréquent d'un quilisma dans une tierce mineure, nous avons essayé de chanter rapidement trois notes intermédiaires à la place de la note quilisma. Par exemple pour le groupe quilismatique La-(Si)-Do, où le quilisma est entre parenthèses, après l'appui marqué sur le La, on chante rapidement trois notes (Si-La-Si) à la place du Si quilisma, en essayant de ne pas trop dépasser un temps élémentaire, mais sans précipitation, posément. On obtient alors l'ensemble La-(Si-La-Si)-Do, qui donne un effet d'appel vers le Do tout à fait acceptable liturgiquement, et qui ne gêne pas le rythme d'ensemble. Dans le cas d'une tierce majeure, on opère de même sur les notes intermédiaires, par exemple Fa-(Sol-La-Sol)-La, et dans les cas exceptionnels d'une quarte, on peut aller jusqu'à quatre notes d'ornement intercalaires, par exemple Do-(Ré-Mi-Ré-Mi)-Fa. Il peut évidemment exister d'autres solutions dans le même ordre d'idées.
Ce genre de solution a le grand avantage, comparée à des tremblements plus ou moins fluctuants, plus ou moins difficiles à définir, d'être reproductible et facile à exécuter, indépendamment de la personnalité du chantre, et pourrait même peut-être, sous réserve d'expérimentation favorable, s'appliquer au chant en groupe de quelques chanteurs.

Cas de l'oriscus

Le cas de l'oriscus apparaît beaucoup plus compliqué que les précédents, à cause des formes diverses et nombreuses que peut revêtir ce signe, et aussi des diversités de son emploi mélodique. Dans la Sémiologie de Dom Cardine, l'oriscus fait l'objet d'un chapitre spécial où est traité son emploi isolé, mais il y est évoqué d'autre part longuement à propos des neumes dans lesquels il intervient comme composante essentielle: pressus, virga strata, salicus, pes quassus. On peut assez naturellement se demander si l'oriscus n'aurait pas plusieurs types d'interprétation vocale selon les cas de forme et d'emploi. Mais cette idée est immédiatement battue en brêche par la notation messine, où deux signes seulement, selon toute probabilité interchangeables, , et , servent à représenter l'oriscus dans tous les cas de figure, exception faite des cas où l'oriscus est en quelque sorte noyé dans une suite de neumes liés, et où sa présence n'est signalée que par une ondulation du trait de liaison, simulant peut-être un écrasé. On rencontre aussi fréquemment en notation messine l'oriscus d'attaque de neumes tels que clivis ou porrectus représenté par un simple crochet initial. Ainsi la clivis messine à crochet initial équivaut à un pressus minor, qu'il suffit de précéder d'un punctum au même niveau pour avoir un pressus major. Il est d'ailleurs possible que ces graphies intégrant des oriscus simplifiés correspondent à des formes abrégées de pressus par rapport aux représentations messines classiques (avec , ou , et uncinus ou punctum).
En ce qui concerne l'emploi mélodique, ni Dom Cardine, ni Dom Mocquereau n'ont retenu une modulation vocale des oriscus, et par conséquent des neumes qui les incluent. Dom Cardine, en ce qui concerne l'emploi mélodique des oriscus, laisse apparaître dans sa Sémiologie une contradiction flagrante. Car si, comme il l'affirme avec insistance dans le chapitre XV l'oriscus est toujours suivi d'une note plus grave, on ne voit pas comment, quand il se trouve au milieu d'un salicus, ou à la base d'un pes quassus, son rôle pourrait être d' "indiquer une sorte de tension mélodique vers la note suivante", qui dans ces neumes est toujours à l'aigu, et qui est selon Dom Cardine la note la plus importante (Cf. Sém. p. 122, Conclusion). Ou alors, il y aurait deux sortes d'oriscus, les uns (isolés, ou en pressus ou virga strata) qui tendraient à un degré plus grave, les autres (en salicus ou pes quassus) qui tendraient à un degré supérieur consécutif. Mais cette hypothèse, comme nous l'avons vu, n'est pas confirmée par les graphies manuscrites, qui ne font pas de distinction de forme entre les deux emplois. Mais ceci n'exclurait peut-être pas des interprétations distinctes, des nuances, que pourrait introduire le chanteur selon les cas rencontrés.
Essayons d'imaginer les caractéristiques qualitatives des solutions vocales devant s'appliquer aux oriscus, en nous plaçant du point de vue des chantres de l'époque. A notre avis ces solutions devaient :
1.    Etre simples, et d'exécution facile.
2.    Pouvoir se mémoriser aisément.
3.    S'intégrer naturellement dans le chant des pièces.
On peut imaginer plusieurs options s'inspirant des agréments et ornements employés naguère en abondance au clavecin ou à l'orgue, pour compenser la pauvreté expressive des émissions des sons de ces instruments. Ces options comprennent principalement le trille, le mordant, le pincement et le doublé. Ces quatre possibilités ont été essayées, et sont apparues plus ou moins acceptables.
Le doublé est codifié dans les partitions d'orgue par un signe ressemblant au tilde, identique à l'une des formes graphiques de l'oriscus. Exemple, si l'on veut orner par doublé la dernière note de la séquence Si-Do-Do, on exécutera Si-Do-(Ré-Do-Si)Do, les trois notes d'ornement (entre parenfhèses) étant jouées deux ou trois fois plus vite que les deux premières, la troisième étant un peu écourtée pour faire place à l'ornement. A l'usage cette solution est dans certains cas d'un bel effet, mais elle est un peu longue, étirant notablement le chant.
Le trille se pratique sur la note ornée et sa voisine supérieure immédiate à un ton ou un demi ton selon le cas rencontré. Théoriquement, cette solution de tremblement est la plus simple, mais à l'usage n'est pas facile à exécuter harmonieusement, et surtout on ne sait pas si l'on doit se limiter à deux, trois oscillations, ou plus éventuellement.
Finalement, après quelques expériences vocales la solution qui a semblé la plus indiquée est celle du mordant. La séquence exemple Si-Do-Do, ou le dernier Do est la note ornée, s'énoncera Si-Do-(Do-Ré)Do. Elle présente plusieurs avantages. Elle est assez brève pour permettre d'insérer les oriscus tremblés sans altération du rythme, l'ornement débute sur le même degré que la note ornée, et elle se prête aisément à un automatisme de lecture. Selon les cas, la note ornée peut être émise brève ou longue. Ainsi les nombreux pressus minor de cadence peuvent voir leur oriscus légèrement étiré, ce qui est d'ailleurs demandé parfois en graphie sangallienne par l'ajoût de la lettre significative (tenete), qui selon Dom Cardine concerne aussi la note finale (punctum du pressus), alors que le manuscrit messin utilise dans ce cas l'oriscus classique surplombant un uncinus, au lieu de la clivis ébranlée , forme plus courante du pressus minor. Dans les cas d'oriscus en pressus de cadence, ou isolés en préparation de cadence, on pourrait se permettre de redoubler l'ornement pour insister sur la note ornée, dont la durée pourrait alors être doublée approximativement.
Le pincement, sorte de pendant au mordant exécuté avec une note d'ornement au grave, semble moins naturel que le précédent d'un point de vue mélodique. Il pourrait cependant s'exécuter aussi facilement, le cas échéant.

Pièces ornées ayant servi aux expérimentations (numéros 2 à 12)

ous avons choisi à l'aide du Graduale Triplex des pièces contenant des notes et neumes singuliers en nombre supérieur à la moyenne, pour mieux apprécier le changement introduit par les modulations vocales par rapport à une exécution négligeant les ornements. Pour chaque pièce, nous rappelons les sources manuscrites citées dans le Triplex, d'après le code suivant :

L = Codex Laon 239, C = Codex Saint-Gall 359, E = Codex Ensiedeln 121.

Elaboration des partitions

n problème de partitions nouvelles est apparu, le Triplex ne se prêtant pas à une lecture directe pour le chant. Nous sommes parti d'une vieille édition de graduel de 1908 ne comportant aucun signe rythmique, avons reproduit avec léger agrandissement les pièces choisies, puis annoté à la main les notes à transformer : Ajoût d'épisèmes horizontaux pour les allongements, d'accents circonflexes sur les oriscus, et de boucles entourant les quilismas pour les repérer sans faute.

Ensemble du programme enregistré

1-
Hymne Veni Creator. VIIIe mode. "Venez, Esprit créateur, visitez les âmes qui sont à vous ; comblez de la grâce d'en haut les cœurs que vous avez créés. Vous qu'on nomme le Paraclet, vous, le don du Dieu très haut, la source jaillissante, le feu, l'amour, l'onction spirituelle. Vous êtes le don au sept formes, le doigt de la main divine, la fidèle promesse du Père, qui dispensez la parole à nos lèvres. Suscitez votre lumière dans nos esprits, répandez votre amour dans nos cœurs, apportant à nos défaillances physiques l'appui constant de votre force. Repoussez au loin notre ennemi, accordez-nous la paix dès maintenant : si votre conduite nous trace ainsi la route, nous éviterons tout péché. Donnez-nous de connaître par vous le Père et le Fils, et de croire à jamais que vous êtes de l'un et de l'autre l'Esprit. Gloire à Dieu le Père, au Fils qui est ressuscité des morts, et au divin Paraclet, dans les siècles éternels. Amen."
   
2-
Graduel Tecum principium, de Noël, messe de minuit. IIe mode. Sources L, C. Texte extrait du psaume 109 : "Tecum principium in die virtutis tuae : in splendoribus sanctorum, ex utero ante luciferum genui te. Vt Dixit Dominus Domino meo : Sede a dextris meis:donec ponam inimicos tuos, scabellum pedum tuorum"."A toi la primauté au jour de ta naissance; dans les splendeurs sacrées, de mon sein avant l'aurore je t'ai engendré. Vt Du Seigneur à mon Seigneur : Siège à ma droite, jusqu'à ce que j'aie fait de tes ennemis ton marchepied".
Ce graduel exceptionnel contient dix quilismas, dont deux quasi consécutifs, et en plus de nombreux oriscus que nous interprétons avec ornement comme précisé ci-dessous à propos du graduel Respice. Nous estimons que la technique d'interprétation des quilismas "en gradins" que nous avons précisée plus haut souligne opportunément le texte, et cela sans nuire en rien au rythme. Cette solution est à notre avis suffisamment concluante.
   
3-
Graduel Miserere mihi, temps de Carême. VIIe mode. Sources L. C. Texte extrait du Psaume 6 : "Miserere mihi, Domine, quoniam infirmus sum : sana me, Domine. Vt Conturbata sunt omnia ossa mea : et anima mea turbata est valde"."Aies pitié de moi Seigneur, car je vais périssant. Guéris moi, Seigneur. Vt Mes os se dessèchent, et mon âme est en un trouble extrême". Paradoxalement, cet extrait du psaume 6 particulièrement tragique est mis en valeur par une riche mélodie du VIIe mode. L'imploration du début, Guéris-moi Seigneur, comporte des notes allongées, insistantes. Puis, sur la dernière syllabe de conturbata, on rencontre une chaîne de trois pressus consécutifs serrés, chutant rapidement de plus d'une octave (de Fa aigu à Ré grave), qui semble refléter la déchéance physique extrême décrite dans le texte. Là les oriscus sont tremblés brièvement, sans ralentir, conformément aux deux manuscrits très nets sur cet aspect.
 
4-
Graduel Tibi Domine, temps de Carême. IIIe mode. Sources L. E. Texte extrait du Psaume 9 : "Tibi Domine derelictus est pauper : pupillo tu eris adiutor. Vt Ut quid Domine recessisti longe, déspicis in opportunitatibus, in tribulatione ? dum superbit impius, incenditur pauper". "A toi le pauvre s'abandonne, de l'orphelin tu es le protecteur. Vt Pourquoi, Seigneur, te tenir éloigné, pourquoi te dérober aux heures de détresse ? Sous l'orgueil de l'impie, le pauvre est anéanti".
Avant le verset, on rencontre de nombreux allongements, notamment sur les syllabes de pauperes et d'adiutor, comme pour accentuer l'imploration. De même la première syllabe de pauper à la fin de la pièce, est soulignée par de nombreux allongements de notes.
   
5-
Graduel Respice Domine, 19e Dim. ordinaire, ou 13e Dim. après la Pentecôte. Ve mode. Sources L. C. Texte extrait du Psaume 73 : "Respice, Domine, in testamentum tuum : et animas pauperum tuorum ne obliviscaris in finem. Vt Exsurge, Domine; et judica causam tuam : memor esto opprobrii servorum tuorum". "Pense à ton alliance, Seigneur; n'oublie pas à jamais la vie de tes pauvres. Vt Dresse-toi, Seigneur, défends ta cause; souviens-toi de l'insulte faite à tes serviteurs."
Ce graduel présente en particulier deux séquences riches en pressus rapprochés, plus d'autres détails intéressants. Les oriscus exécutés avec mordant s'intègrent au discours sans difficulté, et ne nuisent en rien au rythme d'ensemble, à condition de bien observer les repos en cours de mélisme que demandent les notations manuscrites sangalliennes et messines (coupures neumatiques larges, donc réelles). Nous pensons que ces tremblements enrichissent le chant, mais l'effet est moins évident qu'avec les quilismas transformés. Nous proposons donc cette solution pour les oriscus, en reconnaissant qu'elle ne s'impose pas indiscutablement, et qu'elle pourrait alors être remplacée éventuellement par une autre espèce de tremblement. Car un renoncement à tout tremblement des oriscus laisserait entier le problème des notations manuscrites des oriscus et des neumes les agrégeant, notamment des pressus, dont l'originalité et la singularité sont manifestes et ne peuvent s'expliquer logiquement que par un net effet vocal propre.
   
6-
Graduel Oculi omnium, 26e Dim. Ordinaire, ou Fête du très saint Sacrement. VIIe mode. Sources L. C. Texte extrait du Psaume 144 : "Oculi omnium in te sperant, Domine : et tu das illis escam in tempore opportuno. Vt Aperis tu manum tuam : et imples omne animal benedictione". "Tous les yeux, Seigneur, sont tournés vers toi, pleins d'espoir : à chacun en son temps tu donnes la pâture. Vt Tu ouvres ta main, et combles tout vivant de ta bénédiction".
On remarquera surtout au début du verset Aperis la chaîne de trois groupes : (virga épisémée - clivis - pressus) avec allongements insistants, dans les deux notations, où les coupures entre neumes sont intentionnellement larges, indiquant donc des repos. Le chant ne peut que se conformer à ces indications parfaitement claires, le tremblement des oriscus accentuant l'effet cherché.
   
7-
Graduel Dirigatur oratio mea, 32e Dim. Ordinaire, ou XIXe Dim. après la Pentecôte. VIIe mode. Sources L. C. Texte extrait du Psaume 140 : "Dirigatur oratio mea sicut incénsum in conspectu tuo, Domine. Vt Elevatio manuum mearum sacrificium vespertinum". "Que ma prière, Seigneur, monte jusqu'à toi comme un encens. Vt J'élève mes mains, comme l'oblation vespérale".
Ce graduel du 7e mode se distingue par son élévation spirituelle, presque mystique, que le chant doit s'efforcer de rendre.
 
8-
Verset alléluiatique Venite exultemus, 20e Dim ordinaire, ou 14e Dim après la Pentecôte. VIIe mode. Sources L, C. Texte extrait du Psaume 94 : "Venite exultemus Domino, jubilemus Deo salutari nostro". "Venez, chantons le Seigneur avec allégresse; acclamons Dieu notre Sauveur".
Nous avons inclus dans la présente expérimentation cette pièce du 7e mode, qui nous a particulièrement frappé par sa richesse mélodique et sa construction rigoureuse, mettant parfaitement en valeur son texte joyeux et confiant, en particulier par la longue méditation autour de la tierce supérieure Ré-Fa. Elle contient de nombreux pressus de cadence, des pes quassus, et des oriscus isolés, donnant l'occasion de trembler favorablement les notes ornées. Ajoutons que des motifs mélodiques analogues à ceux de cette pièce se retrouvent dans d'autres alléluias également remarquables (Te decet hymnus, Quasi rosa, dans l'ancien ordo).
   
9-
Offertoire Domine fac mecum, du temps de Carême IVe mode. Sources L. E. Texte extrait du Psaume108 : "Domine fac mecum misericordiam tum, propter nomen tuum : quia suavis est misericordia tua". "Seigneur ,agis envers moi selon l'honneur de ton nom : ta pitié est douce".
Cet offertoire assez bref, présente une particularité inhabituelle : un oriscus précède directement un quilisma, sur la syllabe cor de misericordia tua (à la fin).
   
10-
Offertoire Factus est, samedi de la 4e semaine de Carême. IVe mode. Sources L, E.Texte extrait du Psaume 17 : "Factus est Dominus firmamentum meum, et refugium meum, et liberator meus : sperabo in eum". "Le Seigneur est mon rocher, mon refuge, mon libérateur : en lui je me confie".
Cet offertoire, dans sa bièveté, est riche de passages ornés. On note en particulier, sur la syllabe ra de liberator, une cascade de pressus descendant du La au Mi très lentement, avec une notation messine très différente de celle utilisée dans le graduel Miserere mihi commenté ci-dessus (syllabe ta de conturbata), où la rapidité est au contraire manifeste.
   
11, 12-
Communions Lutum fecit, Videns Dominus, du temps de Carême. VIe et Ier modes. Sources L, E. Textes de Jean 9,6,11,38, et 11,33,35,43,44,39 : "Lutum fecit ex sputo Dominus, et linivit oculos meos : et abii, et lavi, et vidi, et credidi Deo". "Le Seigneur a fait de la boue avec sa salive et m'en a enduit les yeux : je m'en suis allé, je me suis lavé, j'ai vu, et j'ai cru en Dieu".
"Videns Dominus flentes sorores Lazari ad monumentum, lacrimatus est coram Judaeis, et clamabat : Lazare, veni foras : et prodiit ligatis manibus et pedibus, qui fuerat quatriduanus mortuus". "Le Seigneur, voyant les soeurs de Lazare pleurer près du tombeau, pleura devant les Juifs, puis cria : Lazare, viens dehors! Et il sortit, pieds et mains liés, lui qui était mort depuis quatre jours".
Ces communions relatant des miracles de Jesus présentent plusieurs oriscus ou virga strata sur syllabe isolée, en cadence ou préparation de cadence, qui enrichissent, une fois ornés, la sémantique textuelle et mélodique.
 
13-
Pour conclure : Antienne de Magnificat des 2e vêpres de Noël, Hodie Christus natus est, et cantique Magnificat du 1er ton solennel, terminaison Sol. Source Antiphonale Monasticum. Style de chant classique selon La Méthode de Solesmes. "Aujourd'hui est né le Christ : Aujourd'hui est apparu le Sauveur : Aujourd'hui sur la terre les anges chantent, les archanges se réjouissent : Aujourd'hui les justes exultent, répétant : Gloire à Dieu dans les cieux, alleluia ". " Magnificat...etc..."
La beauté de cette antienne pleine de joie et du cantique de la T. S. Vierge Marie se passe de commentaire.

Style de chant

uivant les manuscrits reportés dans le Graduale Triplex, nous nous sommes efforcé de mettre en oeuvre tous les éléments rythmiques, épisèmes, lettres significatives, coupures larges entre neumes dans les mélismes exprimant des repos, notamment. Pour les passages neutres rythmiquement (aucun signe particulier sur plusieurs notes successives), nous avons spontanément et discrètement rythmé en binaire-ternaire, c'est-à-dire comme en langage parlé, conformément à notre formation au rythme grégorien. Il nous a semblé que le résultat était en général assez fluide et suffisamment expressif.

Il n'en reste pas moins que l'interprétation qui résulte des éléments rythmiques pris en compte, ajoutés au traitement ornemental des quilismas et des oriscus, ne peut que s'écarter dans l'ensemble considérablement de l'interprétation classique selon la stricte méthode de Solesmes, conforme aux éditions rythmiques bien connues. Notamment, les fréquentes successions de notes allongées, par trois et parfois beaucoup plus, attestées dans les deux manuscrits, témoignent d'une dimension expressive du chant ancien beaucoup plus libre que ne le permettent nos livres de chant modernes. Ainsi la présente interprétation pourra paraître parfois exagérément extériorisée, alors que l'on n'a fait que suivre le plus fidèlement possible les indications manuscrites. En revanche la présente interprétation n'a pas non plus grand-chose de commun avec les leçons des "novateurs", Don Cardine, Don Agustoni, Don Joppich, pour ne citer que quelques auteurs marquants, dont nous récusons la plupart des enseignements, et dont l'erreur majeure, à notre avis, a été d'exclure complètement la possibilité de notes modulées.
Ainsi, par l'effet de la pure logique, notre interprétation apparaît-elle vraiment nouvelle, originale, comparée aux écoles établies. Du fait que les chants ornés, d'exécution difficile, étaient réservés selon la tradition à des solistes sans accompagnement instrumental, l'enregistrement sera tenté par l'auteur, seul, a capella.



Pierre Billaud (décembre 2004)