4. Lettre de P. Billaud à P. Bottet

le 7 février 2000

Cher Monsieur,

J'ai lu avec beaucoup d'intérêt votre lettre du 1er février, en enregistrant votre accord de principe pour une citation de votre première lettre, l'abbé Portier n'y voyant lui-même pas d'objection. (...)
Il me semble que nous n'avons pas exactement la même vision des rôles respectifs des éléments de la mélodie. J'ai l'impression que votre écoute est plutôt "intégrée", "harmonique" même, rappelant l'attitude requise pour la musique indienne (Cf. Alain Daniélou), où la dimension "temps" est plus ou moins abolie. Boulez rêvait d'une nouvelle musique débarrassée de la dualité mélodie/harmonie : "Notre seul problème est de structurer l'espace" (cité par E. Ansermet in Les fondements de la musique... etc... BOUQUINS, Robert Laffont, 1989, p 781).
Votre digression sur la langue latine parlée m'a vivement intéressé. Il se trouve que, bien que de vocation plutôt scientifique, j'ai été amené à prendre conscience des similitudes de rythme entre langue parlée et mélodie et à en déduire des conclusions applicables au grégorien. Vous trouverez probablement mes analyses sommaires, voire simplistes, mais je les crois utiles devant la pauvreté rythmique des interprétations courantes (votre image du " poulpe répandu sur le sable " me semble tout de même un peu poussée...). Peut-être aurez-vous le temps de parcourir les textes Internet que je vous ai signalés, où ces aspects sont assez longuement abordés.
En fait la question de la langue latine parlée, et notamment de l'accent tonique, est au cœur de la controverse qui a motivé mon article sur Solesmes. Faut-il considérer comme les derniers novateurs que le chant grégorien doit se fonder, se calquer, sur la structure du mot latin, en abandonnant le cadencement systématique binaire-ternaire, ou au contraire que la musique -la mélodie- doit primer sur la langue, le rythme binaire-ternaire apparaissant alors comme le plus naturel (position traditionnelle de Dom Mocquereau et Dom Gajard) ? En tant que latiniste intéressé par la langue parlée vous pourriez avoir sur ce sujet une opinion de valeur, même sans avoir étudié de près les théories de Dom Cardine et Jeanneteau (dont malheureusement l'ouvrage-clé est épuisé et introuvable en librairie : Style verbal et modalité, Etudes grégoriennes, 1957 n°4).
Je vous laisse donc prendre connaissance de mes textes avant de poursuivre la discussion, et revenir plus longuement sur vos conceptions (des mélismes par exemple).
Je vous serai très reconnaissant de me communiquer vos écrits sur le grégorien. En tant qu'amateur et curieux je suis particulièrement attentif aux conceptions personnelles, indépendantes, souvent originales, des autres amateurs. Mais je ne peux pas vous promettre d'y faire écho très vite.
Merci encore pour votre lettre.
Dans l'attente de vous lire, je vous prie de croire, cher Monsieur, à mes meilleurs sentiments.

P. Billaud



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