Bombe H

Le point en l'an 2001

Nouveaux éléments

Nouveaux éléments

Au premier trimestre de cette année, j’ai pu recueillir des informations de source certaine, concernant la bombe H française et Robert Dautray, apportant des éléments nouveaux historiquement très importants.

D’une part, en octobre 1967, après l’inattendu coup de pouce britannique à nos recherches, les autorités du CEA décidèrent en secret de charger Dautray d’assurer seul la liaison avec notre informateur étranger. Le motif apparent était de représenter le CEA dans les contacts ultérieurs éventuels par un vrai scientifique. Les acteurs du BRIS, Henri Coleau et René David, qui avaient assuré les premiers contacts avec une efficacité remarquable, se trouvèrent de ce fait sèchement et sans explication écartés de l’opération. Mais le motif réel, caché, était de réintégrer Dautray dans le processus "bombe H", auquel il n’avait encore rien apporté, afin de lui garder toutes ses chances de brillante carrière.

Cette mission donnée à Dautray resta si confidentielle que personne n’en sut rien à la DAM, à part bien entendu Robert et Viard. Officiellement, pour la galerie, Dautray était chargé de l’information directe du ministre.

On peut alors imaginer que Dautray a élaboré des questionnaires, et peut-être communiqué les plans de nos futurs engins à la source pour recueillir ses remarques et ses conseils. Je puis affirmer catégoriquement que Bellot et moi, directeurs de projet, ne bénéficièrent d’aucune information extérieure dans les phases de conception et de définition. Ce n’est qu’au dernier moment, alors que les deux engins étaient déjà arrivés en Polynésie, que Viard nous prescrivit d’autorité et sans explication de rajouter un élément périphérique à nos engins. Après coup, on peut dire que cet ajout n’a pas dû apporter grand chose, en tout cas pour mon engin.

D’autre part, après la sortie en 1976 du livre de Peyrefitte Le mal français, attribuant faussement à Dautray le mérite principal dans le succès H de 1968, certaines hautes autorités du CEA et peut-être du gouvernement prirent secrètement l’incroyable décision de faire officiellement de Dautray le père unique de la bombe H française. Là encore, un motif avouable : consolider le secret sur l’information anglaise en justifiant l’accélération subite des réalisations de la DAM à partir de novembre 1967, par une (prétendue) intervention décisive de Dautray. Aujourd’hui le vrai motif crève les yeux : pousser à tout prix Dautray dans une carrière de "grand scientifique français", en piétinant sans état d’âme les droits moraux des vrais auteurs. Ce "complot du mensonge", naturellement, ne mobilisait que quelques personnes et restait soigneusement caché au dehors. On m’a affirmé qu’à cette occasion Dautray reçut l’ordre explicite de jouer dorénavant le rôle de Père de la bombe H française, ordre auquel il déféra, semble-t-il, sans hésitation ni restriction, vu son appétit pour les honneurs, ne voulant pas voir l’aspect frauduleux, indigne d’un vrai scientifique, de cette mascarade (voir en particulier les séquences d’informations télévisées qui lui ont été consacrées lors de son élection à l’académie...).

En réalité, le prétexte de protection du secret sur l’information d’origine étrangère n’avait aucune justification, ce secret étant encore absolu en 1976, neuf ans après les événements en cause. Les protagonistes initiés avaient alors bien d’autres chats à fouetter pour repenser à cette vieille histoire.

Lorsque je fis paraître en 1994 mon livre La véridique histoire de la bombe H française (voir mon article L’incroyable histoire...) j’appris par un camarade qu’une des anciennes autorités de l’époque, à qui j’avais jugé correct d’adresser un exemplaire, avait vigoureusement réagi à mon initiative, qu’il désapprouvait et regrettait. Il m’apparaît aujourd’hui que cette personne devait être de l’ancien complot, peut-être même son principal instigateur, pour aider Dautray. Pourquoi ce favoritisme ? Je laisse le lecteur chercher une hypothèse crédible. Il en existe.

Ainsi mon livre dérangea et inquiéta certains, qui s’abstinrent de m’en faire part directement. La direction du CEA me fit cependant savoir qu’il fallait à tout prix éviter d’expliciter ou confirmer mes allusions voilées à des informations d’origine étrangère, que ce secret restait d’une importance énorme, vitale, (pour qui, pourquoi ?), et qu’en cas de questions de journalistes je devais m’en tenir à la thèse (pourtant assez peu crédible) d’une soudaine divination de Viard en fin septembre 1967. La question de la paternité réelle de la bombe H française n’intéressait visiblement pas ces autorités, pourtant si sourcilleuses à l’égard d’un secret vieux de 28 ans qui ne mettait en rien en jeu la sécurité nationale.

En y réfléchissant, tout ceci me paraissant de plus en plus bizarre, je finis par comprendre que j'étais gentiment mené en bateau, et qu’on ne brandissait ce fameux secret que pour préserver la légende de Dautray " père de la bombe H ", l’égal de Teller ou de Sakharov (sic).

C’est pourquoi, afin de poursuivre le rétablissement de la vérité auquel je m’étais engagé après l’inadmissible article du Figaro du 5 octobre 1993, je pris la décision de proposer un article à La Recherche, où tout serait dévoilé (n°293, décembre 1996).

Cet article, qui suscita un commentaire pertinent de l’hebdomadaire scientifique Nature d’audience mondiale où l’on mettait en doute la légende de Dautray, m’attira les foudres "du plus haut niveau", et je fus exclu de tout contact avec la DAM et ses personnels en service. Mais j’avais enfin atteint mon but, et pouvais passer à d’autres sujets de réflexion plus intéressants.

Il est assez clair aujourd’hui que Dautray appartenait depuis le début à un groupe à part, discret et solidaire, comprenant des personnes influentes, jusqu’au "plus haut niveau" semble-t-il, qui l’ont indûment soutenu et favorisé. Maintenant il ne reste aucune ombre sur le déroulement exact des événements, tout s’explique parfaitement, y compris le mutisme obstiné de Dautray à propos de la bombe H.

Valeur réelle de Dautray ?

Finalement se pose la question de la valeur scientifique réelle de Dautray. Tout le monde, moi y compris, a reconnu sa capacité à absorber des connaissances, et à les exposer clairement. Par contre il n’y avait chez lui aucune manifestation imaginative, aucun instinct créatif. Maintenant, avec le recul, les témoins de l’époque s’accordent à admettre qu’il n’avait véritablement rien compris à nos problèmes avant que la solution n’apparaisse en toute clarté, en octobre 1967. Qu’a-t-il apporté à la science française ? On cite évidemment le gros traité en neuf volumes qu’il a élaboré avec Lions, Analyse mathématique et méthode numérique pour les sciences et les techniques. N’étant pas compétent en ce domaine, j’ai demandé à quelques camarades bien au courant de la question ce que représentait pour eux cet ouvrage imposant. Ils m’ont dit qu’ils ne s’en servaient pas, lui préférant des manuels plus maniables et d’intérêt plus direct. D’après eux, ce monument contient un exposé savant des connaissances générales en la matière, mais sans indication utile pour le travail de tous les jours. Autrement dit l’ouvrage en question est, et restera probablement, une belle et imposante garniture de bibliothèque.

Bendjebbar

Accessoirement je dois mentionner le livre d’André Bendjebbar sorti en fin 2000, Histoire secrète de la bombe atomique française (Cherche Midi), qui consacre un court chapitre à la bombe H et ses mystères. J’ai personnellement fourni à l’auteur nombre d’informations, et suis en mesure de garantir qu’il a eu en mains tous les éléments nécessaires. Cependant André a reculé inexplicablement devant l’exposé complet de la vérité, puisqu’il a titré ce chapitre "La bombe H ou l’impossible paternité" ! Voir à ce sujet mon avis détaillé dans l’article précédent.

OOO

Je pense que le présent article met un terme, en ce qui me concerne, aux réflexions et au travail que j’ai consacré ces huit dernières années à l’histoire de la Bombe H française.
Ce n’est qu’en cas d’apparition ultérieure de nouveaux témoignages significatifs que j’y reviendrais, si nécessaire.



Pierre Billaud (12 octobre 2001)