La bombe H française

Nouveau point en 2007 après la parution du livre de Dautray

Mémoires, du Vel d'Hiv à la bombe H. (Odile Jacob)


Observations de Pierre Billaud. Avril 2007


Une insulte à la probité scientifique


Avertissement : Avant de prendre connaissance de ce qui suit, il est vivement conseillé au lecteur de lire ou relire :
  • mon livre La véridique histoire de la bombe H française (chez l'auteur, 10 euros franco)
  • les fichiers complémentaires du chapitre Bombe H de mon site.
En page 4 de couverture Dautray se qualifie notamment de " père " de la bombe H française.
Rappelons que ce titre attribué à Dautray a son origine dans un livre retentissant d'Alain Peyrefitte Le mal français (1976), qu'en 1986 le récit de Peyrefitte a été repris par Jean Lacouture (De Gaulle Tome 3, 1986), et que cette paternité a été agressivement réaffirmée dans le Figaro en octobre 1993 (article anonyme mais certainement réécrit par Peyrefitte), à l'occasion de la nomination de RD au poste de Haut commissaire à l'énergie atomique.
Habituellement ce titre de " père " d'un accomplissement important et difficile, implique de la part du titré soit une découverte décisive, soit un rôle de meneur incontesté d'équipes compétentes et efficaces. Je vais tenter de montrer dans ce qui suit que dans l'affaire H Dautray n'a rien découvert, et n'a joué aucun rôle dans la conduite des études et des actions ayant mené aux succès de l'été 1968.

Le récit de Peyrefitte était une forgerie basée sur des témoignages que l'auteur avait négligé de vérifier auprès du Commissariat à l'énergie atomique (CEA). Aujourd'hui, c'est le personnage titré lui-même qui assume la même grave forgerie, contraire à la déontologie élémentaire de tout vrai scientifique. Reconnaissons cependant que l'affabulation est présentée habilement, digne d'un escroc de haut vol s'appliquant à ferrer le gros poisson, mais surprenante (le mot est faible !) de la part d'un ancien très haut fonctionnaire de la République, couvert de titres et d'honneurs, membre de l'Académie des sciences, commandeur de la Légion d'honneur. Inconscient ? Ou sûr de l'impunité dont il a joui jusqu'à présent grâce à son titre usurpé de "père de la bombe H", qui lui a valu ensuite d'accéder à d'autres honneurs et de hautes fonctions.
En effet, comme je l'ai indiqué dans mes précédents écrits, notamment dans le livre La véridique histoire de la bombe H française, Robert Dautray était arrivé à la Direction des applications militaires (DAM) trop tard pour comprendre nos problèmes. Il n'a véritablement influencé en rien la marche des études et des réalisations en 1967-1968 qui ont abouti aux succès expérimentaux d'août et septembre 1968.

Dans le livre de Dautray, l'affabulation revêt une dimension proprement grandiose, avec un luxe de détails frappants, une assurance, qui feront dire au grand public : Bravo ! Quelle réussite étonnante, quelle maîtrise !! Moi-même, arrivé à la page 185, je me suis frotté les yeux ! Est-ce que je réve ? Car je revoyais encore Viard, en cette réunion décisive de fin septembre 1967, distribuant les rôles :
Nous préparerons deux engins de type Carayol, conforme aux tuyaux anglais. Le premier assez gros, de plusieurs mégatonnes si possible, sera confié à la direction de Bellot. Le deuxième sera piloté par Billaud, à qui je demande de pousser le rendement des combustibles, avec un objectif de l'ordre d'une mégatonne. Et pour le cas, improbable mais non exclu, où les tuyaux anglais seraient trompeurs, je voudrais que l'on prépare un troisième engin, d'une conception tout autre que celle de Carayol, mais "aussi thermonucléaire que possible". Billaud voudra bien s'en charger. Je confie à Dautray la mission de tenir informé le ministre de l'avancement de la préparation des expériences.
Ainsi, Dautray, par la nette volonté de Viard, se trouvait clairement privé de tout rôle actif dans les études et réalisations des engins prévus. Toutefois, avec le titre de "directeur scientifique à la sous-direction Recherches", Dautray pouvait librement visiter les scientifiques de Limeil et des autres centres de la DAM. Et naturellement, il assistait à toutes les réunions concernant la préparation de la prochaine campagne de tirs, afin de pouvoir informer le ministre.
En fait, après l'identification de l'engin de Carayol comme solution H, grâce aux tout récents tuyaux anglais, la DAM n'avait plus besoin de Dautray, ayant tous les scientifiques compétents nécessaires, en plus de services de technologie parfaitement aptes à la réalisation matérielle des engins. Ceci était tellement évident que Jacques Yvon, venant d'apprendre que la solution H était identifiée, s'écria, à sa manière laconique habituelle : "C'est vache pour Dautray !". Et, en effet, Dautray n'apparut que dans les réunions au niveau Recherches, toujours muet, notant sur son cahier ce qu'il entendait. En tant que chef d'engin, je n'ai reçu aucune visite de Dautray, ni aucune note ou message.
Pour l'intéressé, c'était la fin brutale d'un rêve caressé depuis son entrée à la DAM, devenir le "père" de la bombe H française. Quelle cruelle déconvenue !
Mais, après quelques jours de réflexion, Dautray s'est probablement rendu compte que cette mission d'information qui lui avait été confiée, auprès d'un ministère totalement coupé de la DAM par le secret rigoureux qui couvrait nos activités à cette époque, lui laissait une marge d'interprétation aussi large qu'il le voudrait. Nous nous trouvons alors devant cette hypothèse très crédible, de Dautray s'inventant un rôle de leader scientifique ayant pleine autorité sur les chercheurs et opérateurs de la DAM, prévoyant les diverses tâches, les affectant à tel ou tel opérateur, redressant les erreurs possibles, veillant à tout, véritable deus ex machina du succès final. Très probablement, les pages de son livre relatant ces événements de 1967-1968 ne sont que la restitution remise en forme des notes qu'il avait consignées alors dans son cahier noir, et des schémas qu'il avait exposés au ministre et ses collaborateurs.
Avec cette hypothèse, on comprend mieux l'attitude de Peyrefitte, étonnamment catégorique en faveur de Dautray, ressortant de son livre Le mal français et surtout de l'article insultant du Figaro du 5 octobre 1993.
Dans mon livre, je supposais Dautray encore sensible à la pudeur et aux scrupules d'un scientifique digne de ce nom, et qu'il s'était contenté devant le ministre de relater les travaux de la DAM en évitant de citer des noms de collègues, mais sans se mettre en avant personnellement. Le livre de Dautray montre que j'étais bien indulgent, et loin d'imaginer la réalité ! On se trouve forcé d'admettre qu'en l'occurrence, Dautray a voulu, par tous les moyens, balayant scrupules et pudeur, persuader le ministre et ses collaborateurs de son rôle personnel déterminant dans la marche de la DAM vers le succès, pour s'approprier malhonnêtement le titre de "père" de la bombe H française.
Le récit de Dautray à propos de la bombe H, où il cherche à accréditer sa fausse paternité, n'est donc que vantardises éhontées, du bidon, de la poudre aux yeux, qui abuseront facilement le grand public. Mais des physiciens un peu attentifs, et surtout les anciens de la DAM qui comme moi ont vécu ces événements, pourront déceler dans ce récit des failles révélatrices mettant gravement en cause sa véracité. Il s'agit d'erreurs, d'omissions, de falsifications.

Analyse critique des pages du livre de Dautray relatives à la bombe H

Erreurs

E1. Méthode de travail

En fin 1967, Dautray ne connaissait pas encore bien la DAM, en particulier les pratiques mises au point progressivement depuis 1960 pour élaborer et tirer des engins expérimentaux. C'est pourquoi, les nouvelles études H étant à leur début, voulant se poser en maître de toutes choses, il va devoir improviser un programme de travail, ce qu'il fera selon sa démarche favorite principalement analytique (pages 180-181), découpant les projets en tâches séparées, alors que chaque partie d'engin (amorce mise à part) est évidemment étroitement liée à toutes les autres, et demande une approche globale, ce dont se chargent normalement les chefs de projet d'engin.

E2. Bouclier anti-neutrons

Au point 3 de sa liste page 180, Dautray demande une protection de la boule thermonucléaire contre les neutrons de l'amorce. Or, après une brève étude, il fut décidé de renoncer à arrêter les neutrons de l'amorce. Aucun des deux engins tirés n'en comportait.

E3. Pression radiative

Dautray utilise les expressions : "pression radiative", et "engin à pression radiative". (pages 175-176). Cette dernière expression est fautive, car inexacte. La bonne expression est : "engin à couplage radiatif", qui exprime que l'amorce à fission agit sur l'étage thermonucléaire par l'intermédiaire du rayonnement photonique qu'elle émet juste après son dégagement d'énergie.
La pression radiative existe, mais ne peut jouer qu'un rôle négligeable dans la compression des étages thermonucléaires, en raison de sa variation selon la quatrième puissance de la température. En fait, le plus souvent, c'est un phénomène d'ablation qui engendre cette compression. Cette erreur est symptomatique, elle révèle le niveau très superficiel et insuffisant des connaissances de Dautray en matière de phénomènes gouvernant le fonctionnement intime des engins H, et une ignorance des bons ordres de grandeur physiques.

E4. Opacité des métaux lourds

Ce problème n'a pu exister en 1967 que dans l'imagination de Dautray. Il avait été étudié et résolu lors de la préparation de notre première expérience, en 1959-1960, grâce en particulier à certaines initiatives ingénieuses de Jacques Bellot, qui à l'époque travaillait à la prévision du rendement nucléaire. Sa solution, introduite dans tous les programmes de calcul, avait donné entière satisfaction lors des essais nucléaires de la période 1960-1968. Si Dautray avait fait un examen sérieux des acquis scientifiques de la DAM, il n'aurait pas mentionné à tort ce sujet. En relation avec le point E1 ci-dessus sur la méthode de travail, on peut observer que Dautray, page 174, mentionne nos programmes de calcul "qui permettaient de simuler les phénomènes advenant dans les milieux à hautes température", "si performants qu'ils permettaient, dans le cas du thermonucléaire, de palier l'absence d'intuition physique de certains chercheurs" . Si Dautray avait été au bout de son examen, il aurait réalisé que ces programmes, qui renfermaient toutes les lois physiques pertinentes, et toutes les données nécessaires, nous dispensaient de refaire les théories des milieux des engins, de redécrire les évolutions neutroniques (criticité par exemple), avec une confiance totale dans la simulation ainsi réalisée. Le chef de projet ayant défini un dessin vraisemblable, on l'essayait sur la machine globalement, et l'on retouchait ensuite telle ou telle partie en fonction du résultat. obtenu. Instruit par l'expérience, nul n'aurait imaginé de saucissonner l'engin en plusieurs morceaux étudiés chacun à part, comme le propose Dautray.

E5. Etudes sur la fission exaltée

Page 162 Dautray écrit : " les recherches (..) sur les engins exaltés ne parvenaient toujours pas, elles non plus, à donner lors des essais nucléaires, les résultats attendus ". C'est complètement faux ! L'essai le plus frappant est celui de la maquette expérimentale de la première charge destinée au système d'armes sous marin, qui donna comme prévu près d'une demi mégatonne (opération Bételgeuse, le 11 septembre 1966, en présence du général De Gaulle). Cette erreur confirme la piètre connaissance de Dautray des acquis de la DAM, qu'il cherche à présenter défavorablement systématiquement.

Omissions

O1. Etat des lieux

Au début d'un rapport ou autre compte rendu, il est d'usage pour un scientifique de rappeler les travaux antérieurs dans le domaine en question. Sachant que trois noms avaient été cités comme importants contributeurs à la solution H, Billaud, Carayol, Dagens, notamment par Jean Lacouture en 1986, il eut été logique de la part de Dautray de mentionner explicitement ce qu'avaient apporté ces trois chercheurs.
Je n'ai droit qu'à une allusion péjorative page 162, où en tant que directeur du centre de Limeil je suis crédité d'une " lettre pleine d'insolence " adressée à l'administrateur général du CEA. J'ai toujours gardé mon franc parler, mais je ne me serais jamais permis d'insolence envers mes supérieurs. Je ne sais dans quelle poubelle Dautray a ramassé ce bobard stupide. Aucune allusion à mes rapports de début 1967, ni aux deux notes publiées courant 1967, l'une sur les énergies à mettre en œuvre aux différentes étapes du fonctionnement, l'autre proposant une formule simplifiée de l'opacité dans le canal, bien utile pour dégrossir la cpnception de la partie H.
Luc Dagens, sans être nommé, est salué comme normalien très compétent et efficace (page 180), sans mentionner en rien les éléments importants de sa contribution scientifique à la solution.
Enfin la découverte capitale de Michel Carayol est évoquée en quelques lignes page 175, en laissant l'intéressé dans l'anonymat, et sans insister sur son importance décisive. En fait, parmi tous ceux qui ont contribué au succès, seul Michel Carayol aurair pu légitimement prétendre au titre de " père " de la bombe H. Mais Carayol est décédé prématurément il y a quelques années.

O2. Troisième engin

J'ai rappelé plus haut que Viard avait demandé en plus des deux engins puissants de type Carayol, un engin de secours de conception radicalement différente, mais "aussi thermonucléaire que possible". Dautray, à la page 185 rend compte des résultats de la campagne expérimentale de 1968 : "les essais (..) allèrent de succès en succès. Plusieurs dispositifs furent tirés : deux engins de grande taille avaient été construits pour éviter un échec dû à des erreurs de calcul marginales. Une troisième bombe plus petite était elle destinée à tester des modalités alternatives et à viser des marges de sécurité plus serrées." Or, les objectifs réels n'étaient pas ce que dit Dautray. Les deux gros engins confiés à la direction de deux chefs différents en style et en objectif, devaient confirmer aux yeux des observateurs étrangers notre maîtrise des phénomènes selon plusieurs voies. S'il s'était agi seulement de palier un risque de mauvais fonctionnement, l'on n'aurait pas tiré le deuxième engin après un premier succès. Quant au troisième engin, Dautray, en l'absence de souvenirs précis, invente n'importe quoi, sans pouvoir dire au juste si cet engin a été on non essayé. Dans sa liste de tâches, ce troisième engin, qui mettait en jeu des phénomènes à part, n'est pas traité. Oublié, escamoté !
Voilà donc un soi-disant " père de la bombe H française " qui ne prend pas la peine de se rendre sur le champ de tir pour assister au couronnement de ses prétendus efforts, qui ne sait même pas s'il y a eu deux ou trois essais, ni quel était au juste l'objectif du troisième engin. Rappelons au lecteur que ce troisième engin, à moi confié, devait seulement rattraper le coup en cas d'échec des deux premiers. Il ne fut évidemment pas tiré. Et notre héros de pacotille de bomber le torse, en toute modestie bien sûr : "Dans mon souvenir, je n'éprouvais que le contentement de celui qui était parvenu à coordonner de nombreuses équipes pour faire franchir à son pays un pas important".

O3. Noms des personnes

Dautray, sans doute pour mieux mettre sa personne en évidence, passe sous silence les identités de nombreux acteurs. On comprend qu'il rejette dans l'anonymat Billaud, Carayol et Dagens, auteurs officiels des succès scientifiques thermonucléaires, qui feraient ombrage à ses prétentions, mais il rejette aussi Robert, Chevallier (Directeurs de la DAM), Lemaire, Bellot ; et bien d'autres. Pourquoi ? Craint-il un possible recours à des témoins qui pourraient encore dénoncer sa supercherie ?

Falsifications

F1. Les huit points de Thoulouze

Dautray monte en épingle une relation avec le Général Thoulouze, alors conseiller à notre ambassade de Londres. Il aurait remis à cet émissaire de Sir William Cook, ancien haut responsable des études H à Aldermaston, un questionnaire en huit points, dont il aurait reçu plus tard autant de "oui".
Je n'ai personnellement, pas plus que mes camarades, dont Bellot et Viard, eu vent de cette source d'informations. Dautray ne précise pas du tout quelles étaient ces fameuses questions, A l'époque il les aurait gardées pour lui seul, ce qui n'est pas tout à fait l'attitude normale d'un membre d'équipe solidaire.
Il prétend que les huit "oui" retentirent comme autant de coups de tonnerre dans le ciel de la Dam (pagfe 177). En réalité, les informations décisives d'origine anglaise (Sir Cook) furent communiquées par le général Thoulouze à Jacques Robert, Jean Viard, Paul Bonnet, Henri Coleau, sans la présence de Dautray, après une initiation dispensée au général par René David, assistant de Coleau, lors d'une mission à Londres.
Comme coup de tonnerre, Robert convoqua une réunion de tous les acteurs H de la DAM (une vingtaine de personnes), et nous dit tout de go que les anglais nous avaient filé des tuyaux sibyllins, mais suffisamment précis pour que la solution H s'identifie à coup sûr à "l'engin de Carayol". Page 178 Dautray s'efforce de surnager en justifiant le fait que Robert n'avait pas mentionné ses prétendues conceptions H pour ne pas froisser la susceptibilité de certains scientifiques de la DAM. Et il évite d'écrire le nom de Carayol en parlant d'engin "X", ce qui est pure invention de sa part. Là, Dautray se montre maladroitement hypocrite. De nombreux témoins encore vivants pourraient confirmer ma version.

F2. Miniaturisation des amorces

Page 192, Dautray décrit (assez mal) les problèmes posés par la miniaturisation des amorces des futures ogives multiples. Et il affirme, page 193 que ce difficile problème a pu être résolu "une fois de plus", par une coopération entre lui et le Général Thoulouze. Encore une pure affabulation, car c'est par une information d'origine américaine, dans le cadre des contacts nombreux et poussés sur la sécurité des armes, que j'étais chargé de piloter côté France, que nous avons pu bénéficier d'un tuyau décisif. Nous cherchions alors à réaliser, comme nos collègues américains, des amorces "autosûres" (nucléairement inertes en cas d'accident, sans dispositif mécanique spécial), et démarrant à l'état critique (durcissement anti neutrons adverses). L'information décisive, d'ordre technologique, nous fut donnée par le général Giller, du Département de l'énergie, lors d'une entrevue rue de la Fédération, avec Jacques Chevallier, DAM, son adjoint Camelin, moi-même, sans Dautray. L'application se fit ensuite sans difficulté, sans participation de Dautray.

F3. Petits mensonges discrets

Pour construire sa légende de "père", Dautray a pris soin dans son récit,de faire le vide autour de lui en ne citant pas les noms de ceux qui avaient avant lui apporté des éléments décisifs. Dans son livre, il introduit par petites touches son prétendu apport personnel. Ainsi page 169, après avoir plagié maladroitement une conception mettant en oeuvre une compression de la boule H, selon lui partagée par " les autres chercheurs ", il déclare avoir voulu convaincre Viard sans succès, parce que ce dernier "aurait eu toute la DAM contre lui s'il voulait revoir la concentration de toutes les forces sur les TAS". Tout ceci est contradictoire et non-conforme à la vraie situation.
Page 176, il prétend qu'avant la réunion de Valduc il aurait "prévenu Jean Viard que les expériences sur la filière TAS étaient vaines". Pourquoi alors à Valduc n'a-t-il rien dit ?
Page 179, , il s'approprie l'innovation : "Nous disposions, à travers mes idées, d'un concept".
En vérité, comme beaucoup d'autres, il n'a réellement cru à la solution de Carayol qu'après l'acquisition des informations anglaises recueillies par Coleau, Bonnet et Viard.

Preuves de la non contribution de Dautray aux succès thermonucléaires de la DAM du CEA en 1968 et à certaines innovations subséquentes dans les armes.

Témoignages

De nombreux témoins directs des événements de 1967-1968 sont encore en vie et pourraient confirmer mes affirmations. Notamment Jacques Bellot, Paul Bonnet, Henri Cleau, Luc Dagens, René David, Bernard Lemaire, Jacques Chevallier, Jean Ouvry, Deléaval... etc.

Documents écrits

Si les archives de la Dam n'ont pas été détruites, on pourra y trouver :
a.
Un rapport signé de Melle Degove, datant de novembre ou décembre 1965, donnant les résultats de simulations de boules H réalisées selon des directives de Dagens, extrêmement suggestives.
b.
Deux gros rapports signés Billaud, de janvier et février 1967 développant le concept de "compression froide", et diverses conséquences et suggestions pratiques, des schémas d'engins à deux étages, etc...
c.
Deux autres notes de Billaud de 1967 relatives aux énergies nécessaires à la mise en condition du combustible léger et à une formulation simplifiée de l'opacité résultante dans le canal partie H.
d.
Un rapport de Bernard Lemaire de 1967, concernant une manifestation efficace du rayonnement X des engins à fission, baptisé Cora.
e.
Un court rapport de Michel Carayol, sur une utilisation possible du rayonnement X issu d'un étage à fission pour agir après cheminement dans un canal ad hoc sur un étage thermonucléaire. Avril 1967, mais reclassé secret et redaté en juillet 1967.

On ne pourra trouver en revanche dans ces archives le moindre papier de Dautray. Les notes de directives dont il parle page 181, qu'il aurait fait signer par Viard, resteront introuvables, parce qu'elles n'ont jamais existé. Il est facile de faire signer un mort.

ooOOoo

En conclusion, j'affirme catégoriquement que dans son récent livre, le récit de Robert Dautray concernant la bombe H française est substantiellement faux, et en particulier qu'il n'a rien apporté ni joué aucun rôle moteur dans les études et les réalisations de la DAM ayant mené aux succès de 1968.
Mais il faut reconnaître que l'affabulation est menée habilement. S'il existait un prix du "meilleur menteur scientifique", Dautray le mériterait haut la main, à défaut de celui de "père de la bombe H".

Devant ce mensonge cynique concernant une phase essentielle de sa vie, on est en droit de s'interroger sur l'authenticité des épisodes relatés dans le reste du livre, de sa jeunesse à sa fin de carrière.
Dans un prologue ruisselant de noblesse et de grandeur d'âme, Dautray se déclare "constamment guidé par l'obsession de la sincérité". Alors qui est au juste Robert Dautray, le Docteur Jekyll du prologue, ou le Mister Hyde de la bombe H ? Certains qui ont travaillé pour lui ou près de lui pencheraient plutôt pour la seconde option.

Pierre Billaud
Ancien élève de l'Ecole Polytechnique
Ancien combattant (Italie, France 1943-1945, Indochine 1951-1954)
Diplômé d'études supérieures "Electronique et Radioactivité" 1950
Directeur scientifique et technique de la première expérience
nucléaire française (13 février 1960) qui fut une réussite exemplaire
Colauréat du prix Lamb de l'Académie des sciences (1960)
Directeur du centre de Limeil (1962-1966)
Commandeur de la légion d'honneur(1969)


ADDENDA- mai 2007

A.
Un aimable correspondant a attiré mon attention sur un passage du livre qui m'avait échappé. Il s'agit du paragraphe intitulé Légendes dorées et réalités collectives, aux pages 148-149. Je ne peux m'abstenir de réagir sur deux points. Au dernier alinéa de la page 148, Dautray traite de fable l'affirmation que la France "aurait inventé sa propre bombe H sans aucune aide extérieure". Dautray a tort, totalement. Le bon schéma existait, après l'invention de Carayol, et avant toute aide extérieure. La preuve, c'est d'une part la mention presque subreptice de la découverte de Carayol à la page 175, d'autre part, l'inscription de l'engin correspondant au programme d'essais de 1968, par Viard, à la réunion de Valduc. Cette conception existait donc bien, sur le papier en septembre 1967, mais virtuellement concrète à échéance. Les informations anglaises n'ont fait qu'accélérer le processus. Le second point est la profession de modestie de la page 149, malheureusement démentie deux lignes plus loin par l'affirmation de sa "contribution décisive" au programe nucléaire français, purement imaginaire, et aussi sa paternité de la 4e page de couverture, et sa longue description de ses prétendues interventions dans la préparation des expériences aux pages 180-181. P.B.
B.
Un autre correspondant obligeant, américain, me signale deux sites intéressants. Le premier, http://www.atomicforum.org/ france/1968.html, donne une version de l'accession de la France au stade thermonucléaire assez proche de ma propre version. Une erreur importante s'y trouve cependant. Il y est écrit que l'engin de Canopus était du "Dagens design", alors que cet engin était à deux étages du type Carayol, comme celui de Procyon.

Le second site reproduit une recension par Robert S. Norris et Hans M. Kristensen des réalisations nucléaires des divers principaux pays nucléaires. http://www.xtrj.org/jiaxian_Deng/nuclear_pursuits_by_robert_s.htm. On y trouve la mention "hydrogen bomb, developpers", pour la France, Carayol, Billaud, Dagens, soit les trois noms cités comme principaux auteurs scientifiques de la bombe H française, officiellement déclarés par le CEA en octobre 1968. P.B.