A Propos de l’Introït Da Pacem


Quelques remarques d’ordre rythmique et linguistique

n article précédent, Le style verbal : un non-sens rythmique, avait donné l'occasion d'examiner l’introït Da pacem sous l'angle du rythme. Nous avions pu en particulier détecter certaines différences de nuances rythmiques entre les notations de Laon et celles d’Ensiedeln (voir extrait suivant du Graduel Triplex, page 336).



Un nouvel examen nous a permis de remarquer d’intéressantes différences de traitement des cadences, entre d’une part les notations neumatiques anciennes, d’autre part la traduction moderne sur portée adoptée par Solesmes.

Il est fréquent, dans les notations anciennes, de rencontrer des cadences mélodiques évidentes non marquées de notes longues, les notateurs jugeant sans doute superflu d’insister sur ces cadences, puisqu’elles ressortent clairement du texte (fin de phrase, de membre), et de la mélodie. Dans ces cas, Solesmes a préféré indiquer les cadences explicitement par des allongements (points mora), à juste titre. Exemples : finales de membre sustinentibus te, inveniantur, Israël.

Dans certains autres cas, Solesmes a jugé bon d’ajouter des mini-cadences, sortes de respirations, là où les anciens manuscrits ne mettent que des notes isolées ordinaires. Exemples : prophetae tui, exaudi, plebis tuae.

On ne trouve qu'un seul cas de parfait accord entre les notateurs de Solesmes et d’Ensiedeln, à la fin de l’incise servi tui (deux points moras, clivis épisémée) qui prépare à l’évidence l’incise finale et plebis tuae, Israël.

Et c’est dans cette incise finale que l’on peut observer une remarquable différence de conception et d’expression entre Solesmes et les notateurs anciens. On constate en effet qu’Ensiedeln allonge franchement la syllabe finale de plebis, par des épisèmes sur une deuxième note de clivis, la virga et la clivis qui suivent, alors que Solesmes lie au contraire les mots plebis et tuae dans un même mouvement, par l’absence de tout ralentissement entre les deux, comme si le traitement ancien était jugé erroné. Il apparaît ainsi que Solesmes a jugé impossible de séparer les deux mots, en français "ton peuple", et donc logique de ne tenir aucun compte des allongements pourtant indubitables des manuscrits.

Les latins mettent systématiquement les adjectifs possessifs après les objets possédés, ce qui autorise, dans le cas particulier considéré, à mettre l’emphase sur le possesseur, Israël, plutôt que sur l'objet, cas le plus courant, en déplaçant la liaison sémantique d’un mot. Dans cet esprit, on pourrait traduire en français ce passage par : "ce peuple, qui est le tien Israël !", traduction plus fidèle à la pensée latine, bien qu’inévitablement assez lourde. Solesmes aurait donc pu mieux respecter la prière d'origine en allongeant lui aussi la syllabe plebis, par exemple par épisème syllabique et point mora sur la dernière note, et en évitant tout allongement marqué en fin de tuae pour associer plus étroitement cet adjectif au mot final, Israël. Corrélativement, le quart de barre du grand rythme entre tuae et Israël devrait être reporté entre plebis et tuae.

A l'occasion des présentes remarques, saluons l'apport irremplaçable que représente le Graduale Triplex pour les grégorianistes curieux. Grâces en soient rendues aux promoteurs de cet ouvrage, notamment Dom Claire, et à ses notateurs talentueux, Marie Claire Billecocq et Rupert Fisher, sans oublier le précurseur, auteur du Graduel Neumé, Dom Cardine !



Pierre Billaud (juin 2001)