Commentaire

après l'écoute d'une émission de France Musique

avec Marcel Pérès


e prurit du changement , qui a fait les ravages que l'on sait dans l'Eglise et la liturgie post-conciliaires, n'est pas une excuse pour se saisir du grégorien et le mettre à toutes les sauces, alors que ce chant devrait être respecté scrupuleusement comme un patrimoine essentiellement religieux, avant d'être musical. Malheureusement des groupes choraux laïcs, et même incroyants, s'en sont emparé comme "matière à découverte", dans le but d'acquérir une notoriété médiatique.

Le responsable de l'un de ces groupes, Marcel Pérès (Organum), a eu les honneurs de France Musique le 8 juillet 1990, invité de Claude Maupomé dans son émission Comment l'entendez-vous ? M. Pérès, qui se répand beaucoup, est devenu -tout à fait abusivement- "la référence" à la radio d'Etat, dès qu'il est question de chant grégorien; il est en particulier invité régulièrement par Jacques Merlet, pour qui j'avais auparavant beaucoup d'estime et de gratitude en raison de ses émissions remarquables sur les orgues de France dans les années passées. M.Pérès, partisan affirmé de la filiation orientale du grégorien, propose des interprétations de celui-ci conformes à ses suppositions, en particulier il contracte certains neumes dans le chant orné ou mélismatique, en imitant les vocalises du chant byzantin, avec une tenue d'ison dans certains cas.
A vrai dire il propose beaucoup de choses, au hasard de ses découvertes au fond des placards des églises de province; il lui arrive ainsi d'exhumer des partitions abandonnées depuis longtemps, ou d'essayer de remettre en œuvre d'anciennes méthodes d'interprétation oubliées, ou délaissées sciemment par Solesmes (à juste titre semble-t-il). D'une manière générale il conteste les choix esthétiques des bénédictins; par exemple il ne voit pas pourquoi les moines chantent relativement aigu et détimbré, au lieu de chanter plutôt bas et de poitrine, comme tout le monde, ce qu'il fait lui-même, transformant tel alléluia (chant d'allégresse) en chant funèbre. On ne peut lui refuser cependant un certain savoir-faire en matière de chant en groupe qui fait que ses productions en général peuvent s'écouter. Le malheur est que cet excellent jeune homme si entreprenant a l'esprit faux. Ses interprétations de chant sacré n'ont d'abord rien de sacré, et apparaissent comme des fabrications gratuites, amalgamant parfois des esthétiques disparates, comme dans ce chant où il incorpore de la polyphonie corse.
Le sommet du ridicule a été atteint dans l'émission lorsque la productrice a insisté pour entendre un échantillon de ses compositions d'orgue. Il commence par préciser que la pièce qu'il va jouer a été composée sur demande pour un instrument construit pour un tempérament mésotonique (à ton intermédiaire entre ton majeur et ton mineur) et muni de deux touches supplémentaires par octave permettant d'avoir dix tierces justes (donc imitant certaines tentatives du 18e siècle). Les organistes de passage, déconcertés, préféraient s'abstenir. Dès les premières phrases d'une partition à l'évidence non tonale on est submergé par un ennui irrépressible, accablant, dû sans doute à l'enchaînement ininterrompu de dissonances informes, sans respiration ni relief aucun. A la fin de l'épreuve on ne peut s'empêcher de se demander : mais où sont passées les dix tierces justes ? Voilà un "musicien", averti de l'esthétique marquée de l'instrument pour lequel on le prie de composer, proche de celle des orgues des 17e et 18e siècles, donc à harmonie ultra-consonante, qui ne trouve rien de mieux que de sortir un magma sériel totalement étranger, et même opposé à cette esthétique !
Après l'écoute d'un certain nombre d'extravagances chorales de l'invité et du groupe Organum qu'il dirige, Claude Maupomé fait entendre enfin une courte pièce chantée par les moines de Solesmes. Dès la dernière note, la productrice , émerveillée, ne peut retenir d'éloquentes exclamations. Rien ne pouvait être plus cruel que le contraste saisissant de ce chant de Solesmes, aérien, tout chargé de spiritualité, de joie, de certitude, avec les laborieuses sophistications entendues auparavant !



Pierre Billaud (automne 1990)