14. Lettre de P. Bottet à P. Billaud

le 10/4/2001

Cher ami,

Je commence à retrouver un peu de la liberté d’esprit qui m’a manqué ces derniers mois et a ralenti nos échanges.

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Vous me demandez mon accord pour utiliser la prose que j’ai pu vous envoyer. Je croyais vous avoir dit très clairement dés le début que vous pouviez en faire l’utilisation que vous jugeriez bonne, choisir et retrancher. Vous me faites beaucoup d’honneur, et j’avoue qu’il y une certaine vanité à se voir imprimé, au moins la première fois. Mais je ne cherche ni à me faire de la publicité, ni à me cacher derriere mon doigt, donc votre suggestion de faire figurer simplement mon nom, si vous le jugez utile, me convient parfaitement.

Ces derniers mois, je suis resté bien entendu fidèle à la lecture quotidienne de mon 800, et j’ai, je crois profité largement de nos échanges dans cette lecture. Cependant, je me sens moins porté à disserter, et j’ai peut-être épuisé ce que j’avais à dire. Ce qui m’importe, c’est l’amplification du texte par la mélodie, et la vie au jour le jour du temps liturgique. Mon environnement liturgique s’est aussi modifié, en ce sens que la chorale que j’ai dû subir pendant des années, et qui m’avait chassé des grand-messes, a fait une véritable conversion. Même imparfait, c’est grégorien, même les femmes font des efforts pour maîtriser leur voix. Les chants harmonisés (je ne parlerai pas de polyphonie) ont disparu, et la messe est chantée intégralement, le seul chant français étant réservé à la sortie de messe. Donc, quand on veut, on peut.

Cette chorale me ramène à votre réflexion sur le rythme de la phrase. Vous avez absolument raison. Je me suis obnubilé sur le rythme du mot, parce qu’il est à la base, mais le mot n’est qu’un matériau, et il faut faire de l’architecture avec ! Or c’est là que la dite chorale achoppe totalement, on ne peut pas tout lui demander du premier coup. Mais il me semble que les théoriciens évoquent te rythme de l’incise, puis de la phrase, pour arriver au "Grand Rythme" (c’est bien le terme ?) . Difficulté, ce rythme est-il d’abord de l’ordre de la diction, ou d’ordre musical ? Il me semble que les deux sont à ce niveau étroitement imbriqués, et ce doit être la même chose dans l’opéra, raison pour laquelle on ne peut sans dégâts traduire un opéra.

Je vous livre ma façon de travailler : quand j’étudie une pièce, je fais l’effort de l’apprendre par cœur, en privilégiant la mémoire visuelle. Pourquoi ? Pour arriver à une vue d’ensemble de la pièce. Je constate souvent qu’une pièce qui me semblait longue paraît ensuite beaucoup plus courte, ramassée, car elle a trouvé son unité et sa signification. Je n’exprime plus des mots à la suite, mais une idée. Ce faisant je découvre dans la mélodie soit des répétitions d’un motif, soit au contraire des oppositions, que je n’avais pas remarquées à la simple lecture, et qui, les unes et les autres, bien que de caractère musical, commandent certainement le rythme en illustrant et soulignant le texte.

J’ai pris connaissance de vos photocopies avec une curiosité amusée : je n’imagine pas très bien ce que peut apporter une nouvelle notation "simplifiée", l’actuelle me paraissant un compromis acceptable et assez parlant, étant donnée la masse d’informations enregistrée (pour ma part je regrette surtout que nous n’appelions pas les notes par des lettres). Cependant vous m’intriguez avec la restitution des messes de Dumont. Je ne connais guère ce qu’on appelle le plain-chant, sauf que mon grand-oncle Pineau avait commis une brochure dans laquelle il prenait la défense de celui-ci , lui reconnaissant une certaine grandeur. Mais je suis intrigué par l’usage qu’en fait Bach. Je reprends, malheureusement au piano, un vieux cahier de chorals que travaillait mon père, avec un très beau Veni Créator et entre autres un Victimae Paschali assez déconcertant. Aussi je m’interroge sur la place du Grégorien dans la liturgie protestante, et l’histoire de la formation du plain-chant.

L’aventure que vous me proposez me tente, si je puis vous être d’une quelconque utilité, c’est le moment pour moi de me lancer dans un travail nouveau. Comme dans toute aventure, je découvrirai en route ce qu’il peut m’apporter. Sur la "compétence en latin" que vous m’attribuez, je précise que si j’étais en tête de classe au lycée, je n’ai jamais pu me familiariser avec les poètes latins, même Ovide. J’ai acquis une certaine familiarité avec le latin d’Eglise, mais dois assez souvent recourir à la traduction du missel pour éviter des faux-sens. En ce domaine, mon objectif est de connaître d’abord le texte pour me débarrasser de l’écrit et écouter l’officiant comme si le latin était ma langue maternelle. Moyennant quoi, mes connaissances devraient suffire pour le travail que vous envisagez. Me restera alors à récupérer mes dictionnaires, emportés il y a bien longtemps par mon fils.

Pour l’anecdote, je vous raconterai que j’ai rencontré cette quinzaine un chercheur amateur, qui sur le conseil de la bibliothécaire de garnison est venu me demander de lui traduire des documents manuscrits, rapports et messages, qu’il avait obtenu des Archives de la Guerre à Vienne, rédigés pendant la Campagne de France en 1814. Documents bien sûr rédigés en écriture cursive allemande, que nous appelons gothique, que j’ai apprise au lycée, mais qui n’est plus employée depuis 1 945. Je me suis bien amusé, mais n’ai pas pu pousser plus loin que quelques dizaines de lignes. J’avais à peine rendu les documents qu’un camarade venait me demander de lui traduire un extrait d’acte de mariage de 1784 dressé en italien à Ajaccio, ce que j’ai fait aussi en laissant des trous.

Très amicalement

P. Bottet


PS - J’ai entendu ce dimanche 8 avril sur ARTE un Te Deum, accompagné à l’orchestre, de Arvo PÄRT, compositeur esthonien contemporain. Connaissez-vous ? J’ai aimé la sobriété et le recueillement, une inspiration grégorienne, alors que ma femme était d’un avis diamétralement opposé, dénonçant les effets. Qui croire?



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