Pierre Billaud

Rappels sur les essais nucléaires français au SAHARA de 1960 à 1966

Non ! La France, par ses essais au Sahara, n’a pas répandu
en quantités dangereuses des substances radioactives
sur la moitié Nord de l’Afrique !

Références pour compléments d'information

1.
The Effects of Nuclear Weapons, 3e édition, 1977.United States Departmemt of Defense, United States Department of Energy.
2.
Rapport sur les incidences des essais nucléaires français.N°3571 de l'Assemblée nationale, n°207 du Sénat. Par Christian Bataille et Henri Revol.Février 2001.
3.
Site Internet de Pierre Billaud.Http://pbillaud.club.fr/nuc3.htm et nuc4,5,7.html.
4.
Général Charles Ailleret : L'Aventure Atomique Française. 1968. Grasset, Paris.

Le présent auteur, Pierre Billaud était en 1960-1961 l’adjoint technique du Directeur des applications militaires du Commissariat à l’énergie atomique, et à ce titre assumait la cnception et la direction des expériences de la DAM. Il a conservé une mémoire détaillée et fidèle des quatre tirs aériens, (au sommet d'une tour métallique pour trois d'entre eux), dans la région de Reggane, dans le sud saharien désertique.
A partir de janvier 1962, Billaud a été nommé Directeur du Centre de Limeil, nouvellement créé à la DAM, et n’a qu’une vue de seconde main des essais en souterrain pratiqués de 1961 à 1966 dans un des massifs granitiques du Hoggar. Les explosions souterraines étant censées rester parfaitement confinées, les essais du Hoggar ne pouvaient en principe, contribuer à une pollution radioactive du voisinage. Mais un malheureux accident est survenu le 1er mai 1962, lors de l’opération Béryl, qui a laissé échapper à l’air libre une petite partie des produits de fission de cet essai qui avait dégagé l'énergie prévue de 45 Kt environ. Ce cas sera donc examiné aussi.
Certains aspects de ces expériences autres que les risques aux personnes sont traités dans les fichiers suivants du présent site: nuc3.html, nuc4.html, nuc5.html, nuc7.html.
Une excellente référence très complète pour les deux premières expériences, Gerboise Bleue, Gerboise Blanche, est l'ouvrage posthume du Général Ailleret : Général Charles Ailleret, L'aventure atomique française (pp 265 et s.), Grasset, Paris.
Remarque préliminaire scientifique. Les dangers à long terme des expériences nucléaires sont liés aux descendants tardifs des produits de fission. Parmi ceux-ci nous retiendrons particulièrement deux d’entre eux, le Caesium 137 et le Strontium 90, tous deux de période d’une trentaine d’années, donc encore présents en cas de dépôt initial important, même après plusieurs décennies. Le Caesium, de la famille des alcalins, se transforme en Baryum par émission béta, et ce Baryum, de période de 3 minutes émet un rayon gamma de 0,66 Mev facilement détectable et identifiable par spectrométrie. Le Strontium 90, lui, n’émet pas de gamma et n’est pas détectable aisément. Indiquons toutefois le danger de ces deux nuclides, en cas d'ingestion, risque de cancer à retardement (plusieurs années et même plusieurs décennies).
Rappelons que les nombreux essais aériens américains et soviétiques des années 1945 à 1961 avaient créé à très haute altitude dans l’atmosphère terrestre un amas de nuclides radioactifs qui en retombant lentement ont créé, et créent toujours, à la surface du globe une source permanente radioactive, très faible, mais mesurable, constituant donc pour les détecteurs un « bruit de fond » interférant avec toute mesure d’événements récents. Grâce à sa période longue, et malgré les affinités chimiques des alcalins, le Caesium reste décelable par le gamma de 0,66 Mev de son descendant, et constitue de ce fait un MARQUEUR INDELEBILE de tout dépôt local de produits de fission significatif, c'est-à-dire nettement supérieur (par exemple au moins dix fois plus) au bruit de fond évoqué ci-dessus.

Les quatre tirs Gerboise près de Reggane. 1960-1961.

En 1958 et 1959 le Commandant des armes spéciales, colonel Ailleret, avait fait exécuter des reconnaissances, qui avaient permis de choisir les zones du Sahara où seraient implantés les éléments civils et militaires chargés de réaliser les premières expériences nucléaires françaises. La base militaire avec piste d'atterrissage pour gros porteurs avait été choisie près de la palmeraie de Reggane, au bord de la piste impériale n°2, allant d'Oran à Gao, maequé par la présence d'un petit batiment en dur, le Borj Etienne, qui servit de premier lieu de résidence pour les équipes de reconnaissance. Un point zéro avait été fixé dans le Tanezrouft, à environ 70 Km au sud-sud-ouest de Reggane. On devait y construire la tour métallique de tir de 100 m de haut, et les deux bunkers enterrés destinés à abriter les apparils de mesure proche, l'un affecté au diagnostic de l'engin, l'autre aux prises de vues photographiques rapprochées et suivant l'instant zéro de quelques fractions de seconde. Après le premier tir, ces abris furent réutilisés pour les essais sur tour suivants, les nouveaux points zéro restant dans le voisinage immédiat du premier.
Le choix de ces implantations visait avant tout à n'exposer aucune des populations sahariennes voisines ou distantes. En effet d'une part le désert du Tanezrouft, était inhabitable par le manque de points d'eau et son climar torride, d'autre part, les vents dominants soufflaient vers le sud-est, direction peu peuplée, à part les villages et oasis entre Reggane et In Salah, notamment Aoulef, à 100 Km à l'est de Reggane, et Akabli (à 120 Km à l'est et un peu au sud).Ces points seraient lors des tirs, particulièrement pris en considération dans les prévisions de trajectoire du nuage atomique.

Sur l'extrait ci-dessus de la carte IGN 741 (Afrique Nord et Ouest), nous avons indiqué dans la région sud la zone des points zéro, et la trajectoire des retombées du tir Gerboise Bleue.

Gerboise Bleue

Ce tir revêtait une importance particulière, première expérience nucléaire de la France, devant en cas de succès marquer l'entrée de notre pays dans le club très fermé des puissances nucléaires. A l'approche du jour J le Général De Gaulle montra une impatience fébrile pour en hâter l'exécution qui finit par exaspérer le comandement local, tenu à des règles de sécurité très strictes. Et justement les conditions météorologiques s'annonçaient plutôt mauvaises jusqu'au dernier moment. Lorsque tard dans la nuit du 11 au 12 février 1960 la situation sembla s'améliorer, l'opération put se poursuivre. Un vent d'est-sud-est stable s'était établi, garantissant l'exclusion des installations de Reggane et des oasis critiques d'Aoulef et d'Akabli de la zone de retombées proches.
L'heure H avait été fixée à 7H04, peu avant le lever du jour, de manière à faciliter certaines observations. Le sprctacle fut grandiose, pour les observateurs avancés, postés à 15 Km du point zéro. Après la féérie de lumière et de couleurs, le nuage monta si haut qu'il semblait nous surplomber. L'énergie ne fut conue que dans l'après midi, de l'ordre de 60 kilotones de TNT, très supérieure à celles de nos devanciers à leur premier essai, de 19 à 25 Kt. Plus tard, l'énergie officielle après exploitation des analyses des résidus prélevés dans le nuage fut de 65 Kt à une ou deux Kt près.
La phénoménologie de l'explosion est conforme aux descriptions de nos collègues américains. La boule de feu, sans toucxher le sol, s'élève à très grande vitesse, emportant les résidus de l'engin et tout le matériel présent autour de l'engin y compris la tour métallique, vaporisée aussi avec ses haubans et les cables coaxiaux reliant les détecteurs de diagnostic au bunker enterré. Une surface circulaire d'environ un kilomètre de rayon est devenue noire comme de l'asphalte fraîche, par vitrification superficielle des poussières du sol. Cette surface semble indemne de toute retombée, toutes les matières vaporisées ayant été aspirées violemment à haute altitude avant que les particules les plus grosses (acier de la tour recondensé) ne commencent à retomber. Cependant une radioactivité induite par les neutrons se manifestera, mais fugitivement en raison des très courtes périodes des atomes formés par capture des neutrons. Les retombées radioactives (i.e. les produits de fission) apparaîtront à quelque distance du point zéro, notamment sur la piste impériale n°2, très au sud de Reggane, où une longueur de quelques dizaines de mètres sera interdite à la circulation pendant deux jours. On suivra la trajectoire du nuage pour vérifier qu'aucun village ou oasis ne risquera d'être touché. Les aviateurs américains, à l'affût dans leurs bases de Lybie, pourront à leur aise, prélever des échantillons de notre nuage (qui se dirigeait droit sur eux) et détermineront le rendement de notre engin, dont la valeur élevée surprendra les autorités de Washington (Atomic Energy Commission, Central Intelligence Agency). Nous y avions envoyé un représentant (Philippe Gordien, chef du BRIS de la DAM) qui donna une conférence de presse très suivie.
Très peu de temps après le tir, l'intensité du rayonnement dans la zone du point zéro était suffisamment réduite pour autoriser quelques opérateurs encadrés par le service de protection à se rendre aux deux bunkers de mesure pour y récupérer les clichés photo d'enregistrement (diagnostic de la réaction en chaîne, photos instantanées de la boule de feu, en particulier), ce qui permettra dans l'après midi du 13 d'avoir l'alpha de la réaction exponentielle, et l'énergie par dilatation de la boule de feu en fonction du temps).
Gerboise Bleue fut un succès complet. Une brochette de hautes personnalités s'étaient déplacées de Paris pour assister à l'opération, Pierre Guillaumat, ministre des Affaires atomiques, Pierre Couture son suceseur comme Administrateur Général du CEA, Général Lavaud, Délégué ministériel pour l'armement, Général Albert Buchalet, récemment promu ainsi que Charles Ailleret. Le Général De Gaulle, enthousiasmé, adressa en fin de matinée un télégramme de remerciement aux auteurs et réalisateurs de l'opération : Hourrah pour la France! Depuis ce matin elle est plus forte et plus fière! Du fond du coeur, merci à ceux qui ont, pour elle, apporté ce magnifique succès. Signé: de Gaulle

Gerboise Blanche

Parallèlement à l'engin M1 destiné à notre première expérience nucléaire, nous avions construit un engin "de secours", plus petit, avec le Pu libéré par la réduction de la masse du coeur de M1. On voulait ainsi, en cas d'accident compromettant l'expérience prévue (chute de l'avion transportant le coeur par exemple), disposer d'un ensemble implosoir-coeur capable de donner quelques kilotones. Cet ensemble était approvisionné à Reggane au moment de Gerboise Bleue, et devait être rapatrié en cas de bon déroulement des opérations de Gerboise Bleue. Cet engin, destiné à être tiré en hâte, avait été simplifié dans son déclenchement, au prix de petites imperfections probables de l'implosion. En conséquence, cet engin ne permettait pas d'acquisition de connaissances nouvelles et n'avait qu'un but, politique, prouver que la France maitrisait les preincipaux aspects de la conception des armes nucléaires à fission. Aussitôt l'effervescence de Gerboise Bleue retombée, Viard et moi allâmes proposer au Général Ailleret de tirer cet engin, qui vu son énergie de quelques Kilotonnes, pouvait probablement sans danger être tiré au sol, avec des mesures sommaires ne nécessitant pas d'infrastructures coûteuses. Le Général en référa à Paris qui envoya aussitôt son feu vert. Le point zéro fut fixé dans le sud de la zone de Gerboise Bleue, et une piste d'accès fut aussitôt réalisée. Ces travaux et les préparatifs techniques de l'engin par le CEA permirent une prévision de tir pour le début d'avril, avant les très grosses chaleurs.
Le tir eu lieu effectivement le 1er avril, alors que le président de l'URSS Nikita Krouchchev se trouvait en visite officielle à Paris.
Le tir eu lieu comme prévu, le 1er avril, et donna l'énergie attendue, de 4 Kilotonnes, laissant un cratère dans la roche du reg. Le nuage fila plein sud, survolant les espaces inhabités du Tanezrouft. Pas de bavure signalée.

Gerboise Rouge

Le tir de Gerboise Rouge (engin P1) eut lieu le 27 décembre 1960, après plusieurs jours d'attente d'une situation météorologique acceptable. L'énergie attendue, de quelques Kt, a été confirmée. Cet essai a permis de valider nos outils de calcul de rendement, pour une taille d'engin beaucoup plus petite, et dans une zone d'énergise différente de celle de l'engin M1, tiré précédemment (Gerboise Bleue). Aucun incident fâcheux n'a été signalé lors de cet essai, en particulier, aucune retombée touchanbt deslieux habités n'a été observée. Il faut préciser à cette occasion qu'un ensemble relativement serré de points de surveillance était en place dans une grande partie du Sahara.

Gerboise Verte

L'engin R1 qui fut tiré lors de l'opération Gerboise Verte, devait valider une architecture nouvelle de l'implosion, autorisant un meulleur rendement du dispositif implosif, et un agencement général de la charge permettant une sûreté nucléaire totalement satisfaisante, comparée aux possibilités permises avec la géométrie compacte des premiers engins. C'était la mise au point de la charge nucléaire devant équiper le vecteur stratégique Mirage IV qui était en jeu. Malheureusement, cet essai fut victîme d'un raté d'amorçage neutronique, et ne donna qu'une énergie faible, de l'ordre de 5% de celle qui état attendue. D'une part, un 25 avril, la température ambiante dépassait les limites suportables par l'électronique de déclenchement, d'autre part le "putsch" des généraux à Alger avait créé une situation politique trouble non sans conséquences pour l'organisation des essais à Reggane, et commandait de ne pas différer le tir. En outre, un vent de sable empêchant pratiquement les observations optiques s'était levé ce matin-là, et de fait depuis Hamoudia à 15 Km on ne vit qu'un halo verdâtre.
Les prévisions météorologiques étaient, du point de vue des risques de retombées, acceptables. Effectivement aucune atteinte d'oasis habitée ne fut signalée.

Les campagnes de tirs souterrains au Hoggar 1961-1966.

Le centre d'epérimentation militaire des Oasis était implanté dans la région d'In Amguel au nord de Tamanrasset, et les tirs avaient lieu dans le massif granitique du Tan Affela, éloigné de toute implantation humaine sédentaire. Le mode de tir adopté suivant l'exemple des américains consistait à placer l'engin dans une chambre ménagée au bout d'une galerie radiale horizontale de longueur suffisante. La chambre de tir était précédée d'une boucle de la galerie en spirale et était obturée après mise en place de l'engin et de l'appareillage de déclenchement et de diagnostic, par un bouchon de sacs de sable de plusieurs dizaines de mètres d'épaisseur. En principe, l'onde de choc puissante créée par l'explosion devait écraser l'extémité de la galerie d'accès et empêcher tout passage de produits de la réaction de fission. La première expérience, opération Agathe, le 7 novembre 1961, confirma la validité du dispositif, par un riche ensemble de détecteurs de rayonnement de toute nature. En ce qui concernait les effets à distance, on constatait un séisme de très faible ampitude, sensible seulement à très courte distance (quelques Km), et suretout la production d'un énorme nuage de poussièreenrobant l'ensemble du massif. Au total, le procédé de tir souterrain mis en oeuvre au Hoggar n'aurait dû entraîner aucun désagrément pour les personnels participant aux opérations et pour les populations sahariennes de la région. Malheureusement, sur les treize essais nucléaires effectués, deux cas de confinement imparfait des laves et scories des explosions nucléaires ont eu lieu, et en deux autres cas des fuites de produits volatils radioactifs (essentiellement gaz rares et iode) ont été détectées. Tous ces cas sont décrits dans la référence 2], pages 35-41. Il est probable que le granit etait trop dur pour se fragmenter assez finement et se tasser en étanchéité parfaite, comme cela avait été le cas aux Etats Unis (tir dans du tuff volcanique assez tendre et friable). Sur ces quatre accidents, seul le cas de Béryl a entraîné des expositions significatives aux rayonnements ionisants.

Risques d'atteinte aux personnes

Ces risques sont de deux ordres, ceux qui sont liés aux effets physiques immédiats et de courte portée, et ceux qui résultent des retombées radioactives régionales.

Effets physiques immédiats

Les effets physiques immédiats à considérer du point de vue des risques aux personnes présentes lors du tir et dans un rayon de cent Kilomètres sont:
  • Le flash de lumière et de chaleur, contemporain de l'explosion nucléaire.
  • L'onde de surpression créée par la boule de feu, se propageant dans l'air à une vitesse moyenne un peu supérieure à celle du son. A courte distance de l'explosion, ces deux phénomènes peuvent être mortels. Dans le cas de Gerboise Bleue, et aussi des autres tirs sur tour, un contrôle rigoureux des présences humaines autorisées sur les différentes zônes du champ de tir avait été appliqué, ainsi qu'une surveillance stricte des déplacements, afin de garantir l'absence de danger.
Les personnes présentes dans la région de Reggane au moment des tirs peuvent être réparties en trois groupes, le groupe A des observateurs avancés en place au PC rapproché d'Hammoudia, à 14 ou 15 Kilomètres du point zéro, les personnels militaires et civils participant à l'opération et occupant la base-vie et installations annexes, à environ 50 Km de l'engin (groupe B), et les populations locales des oasis les plus proches, du Touat en particulier, à au moins 70 Km, jusqu'à Adrar, plus au nord, à environ 200 Km de l'explosion (groupe C).
Le flash lumineux et thermique d'une explosion nucléaire peut produire des lésions aux yeux et des brulures corporelles, dont la gravité dépend évidemment de la distance entre le sujet et l'explosion. Dans le cas de Gerboise Bleue, le groupe A ne risquait pas de brulures corporelles, par la protection des vêtements. Cependant, le risque de lésions oculaires existait pour les groupes A et B. Ces risques vont du simple éblouissement, dont l'effet est réversible, et disparait après quelques minutes, à la brulure de rétine, irréversible, mais sujette à de nombreuses influences empêchant de fixer des régles générales. Le fait de tirer de nuit comme à Gerboise Bleue, augmente l'effet nocif à cause de la dilatation des pupilles. La région de rétine atteinte dépend de l'orientation de l'oeil par rapport à la source lumineuse. La probabilité d'atteinte de la macula est très faible, et une brulure ponctuelle dans une zone de rétine écartée de la macula sera de peu de conséquence pour la personne touchée. Enfin le sujet exposé peut cligner des paupières assez rapidement pour réduire l'énergie entrant dans l'oeil. La référence 1] page 574, Figure 12.88b, donne un graphique des distances de sécurité oculaire en fonction de l'énergie de l'explosion, et de l'effet considéré. Pour une énergie de 70 Kt (cas de Gerboise Bleue), la distance de sécurité pour les brulures de rétine serait de 40 miles, soit 65 Km. Les groupes A et B auraient donc pu être concernés, mais ils avaient reçu l'ordre impératif d'éviter de regarder dans la direction de l'explosion, et même de fermer les yeux à l'instant zéro. En outre les personnes du groupe A étaient munies de lunettes opaques permettant théoriquement l'observation de l'explosion sans danger. Néanmoins ces personnes avaient été priées de fermer les yeux et de se mettre dos toruné vers le point zéro. En ce qui concerne le groupe C des populations locales, celles-ci avaient pour instruction de rester dans leurs habitaions au moment du tir et pendant quelque temps ensuite.
Finalement, après les quatre expériences Gerboises, aucune blessure oculaire liée aux expériences dans les groupes considérés n'a été signalée.
Les effets mécaniques de l'onde de surpression sur les personnes dépendent fortement de la distance, mais le relief irrégulier du reg peut provoquer des sortes de focalisations, des renforcements locaux de pression imprévisibles. Le groupe A des personnes le plus proche de Gerboise Bleue, à 14 Km, devait prendre quelques précautions (sortir des batiments...), mais, fasciné comme tous les observateurs présents par le spectacle extraordinaire des secondes suivant le flash de l'instant zéro, le héraut chargé d'avertir par haut-parleur de l'arrivée imminente de l'onde de choc oublia son annonce, et la surprise fut totale. Certains, surpris debout hors d'équilibre, furent jetés à terre, mais sans mal. Une porte d'un des locaux du PC fut voilée. Au total aucune blessure par effet mécanique n'a été signalée à Reggane à la suite des quatre tirs.

Retombées radioactives régionales

Les quatre expériences à l'air libre proches du sol près de Reggane ont entraîné quelques faibles retombées détectables dans les zônes d'Afrique survolées par les nuages. Le nuage de Béryl au Hoggar résultant d'une défaillance de confinement a causé localement des retombées assez importantes, mais n'a pas mis en danger de populations sédentaires à grande distance.
Au cours des années 1960, en prévision des prochaines expériences, la France avait déployé en Afrique un réseau de surveillance radioactive exceptionnel, s'étendant par exemple jusqu'à Alger, Khartoum, Dakar, ou Abidjan. Le réseau près des lieux d'expérimentations était particulièrement dense. Des appareillages performants y étaient servis par des agents formés aux mesures souhaitées, avec une liaison radio permanente en temps d'expérience avec le PC des opérations à la Base de Reggane. L'altitude des nuages des tirs du CSEM (Reggane) a été, d'après la référence 1], Figure 2.16 page 34, approximativement en mètres 10000 pour Gerboise Bleue, 3700 pour Gerboises Blanche et Rouge, et 2400 pour G. Verte. Le panache de l'échappée radioactive de Béryl, malgré l'absence de véritable boule de feu, se serait élevé à 2600 m, à l'origine d'une radioactivité détectable jusqu'à quelques centaines de Km (ref 2] page 35).
Grâce à l'extension et la qualité de la surveillance radioactive, un grand nombre de données concernant les effets des essais sur les personnes et l'environnement ont pu être recueillies. Le rapport Revol-Bataille (ref 2], pages19-33) reproduit l'essentiel de ces données pour les quatre tirs aériens Gerboises. Une excellente synthèse est fournie par le tableau page36. On y apprend par exemple qu'après Gerboise bleue (la plus forte avec 65 Kt), on a passé au spectromètre gamma 125 personnes de la palmeraie de Reggane, sans décelerd'activité. Ceci est cohérent avec les conditions météo de ce tir, qui prévoyait un vent stable évitant largement la base de Reggane est ses environs.Tous les personnels militaires et civils participant aux opérations et à ce titre subissant dans certaines missions des expositions aux rayonnements, ontété suivis et les doses éventuellement constatées étaient dans les limites fixées.
En ce qui concerne le tir Béryl effectué en galerie au Hoggar le 1er mai 1962, et qui a donné lieu à un accident de confinement, le rapport cité ci-dessus est précis et complet. Il donne notamment une carte des retombées locales et régionales (page 39). Des doses externes assez élévées ont été constatées parmi les personnes ayant été atteintes par le nuage. La photographie ci-après, empruntée aux archives de l'AVEN, montre clairement ce nuage, de couleur noirâtre, se détachant nettement du panache blanc des poussières soulevées par l'ébranlement brutal de l'explosion.


Accident de Béryl (photo AVEN)

On relève d'après ce rapport que des doses externes de 200 à 600 millisievert (soit 20 à 60 rem), ont été prises par une douzaine de personnes (voir graphique page 36), probablement présentes au PC avancé pour certaines d'entre elles. On peut regretter que le Commandement opérationnel n'ait pas ajourné le tir, en raison des vents à basse altitude souflant de la montagne directement vers le PC. Il est vrai que deux ministres étaient présents au PC, et que leur emploi du temps ne leur permettait vraisemblablement pas de prolonger leur séjour au CEMO.
Les personnes participant à l'opération Béryl et ayant été exposées ont toutes été suivies médicalement. En particulier, les 9 militaires en mission dans un poste isolé et ayant traversé le nuage, dés leur retour à la base-vie, ont fait l'objet d'une surveillance clinique, hématologique, et radiologique. On a estimé à environ 600 millisievert la dose externe prise par ces personnes. Ils ont été rapatriès et envoyés à l'hopital Percy à Clamart pour surveillance et examens radiobiologiques complémentaires.Leur suivi n'a pas révélé de pathologie spécifique (Ref 2], page 37).
En ce qui concerne les populations locales présentes au moment de la retombée et qui auraient ensuite séjourné au même endroit ont été évalués.Les nomades les plus exposés auraient ainsi pu recevoir des équivalents de dose cumulée allant jusqu'à 2,5 millisievert donc de l'ordre d'une année de radioactivité naturelle (Ref 2] page 37). La surveillance environnementale effectuée à Oasis2 et In Amguel, après un pic d'activité au passage du nuage, est retombée au-dessous des valeurs maximales admissibles en permanence pour le public.

Conclusions

Nous appuyant sur notre expérience personnelle, et sur le rapport parlementaire de 2001 (Ref 2]), nous pouvons affirmer :
  • Que des précautions adaptées et complètes ont bien été prises par le commandemeent français des opérations pour éviter des atteintes aux personnels participant aux opérations et aux populations susceptibles d'être exposées. Une simple preuve du sérieux de cette préoccupation est le délai parfois long de remise d'un tir aérien en raison de prévisions météorologiques n'assurant pas une sécurité suffisante des points habités pouvant être concernés. Un cas typique est celui de Gerboise Rouge, qui a dû être reporté de jour en jour pendant une bonne semaine, privant les participants d'un retour en famille pour Noël (tir le 27 décembre 1960).
  • Que tous les personnels opérationnels ayant été exposés à des rayonnements ionisants, soit de par leur mission (cas des aviateurs chagés de prélever des échantillons dans le nuage), soit à la suite d'un accident (Béryl), ont été contrôlés et suivis médicalement.
  • Qu'après chaque tir ayant donné lieu à des retombées, des mesures de surveillance de l'air, de l'eau, des plantes, ont été opérées en chaque point équipé de détecteurs pour évaluer les doses radioactives éventuellement subies par les populations résidentes, et vérifier qu'elles étaient bien restées dans des limites admissibles. Et ce pendant plusieurs jours au moins.


Malgré ce bilan dans l'ensemble rassurant, très éloigné de la situation apocalyptique que certains antinucléaires cherchent à accréditer, il est permis de regretter qu'on n'aie pas relevé contradictoirement les débits de doses existant en certains points cruciaux, en 1967, avant de transférer à l'Algérie le contrôle politique des territoires sahariens. Une détermination des quantités de Césium 167 résiduelles aurait pu être très utile.


Pierre Billaud (juin 2009)